prince de Chimay, Alvimare et Talma lui-même, Talma qui pour la première fois de sa vie fit « un rôle bouffe ».
Voilà ce que pouvait être une réunion chez Mme Gay ; mais pour en deviner l’attrait, le plaisir excitant, c’est elle-même qu’il faudrait voir, avec « ces yeux bruns illuminés d’intelligence, cette bouche qui semblait se reposer d’un trait d’esprit dans un sourire, ce visage éclairé d’une sympathique franchise, ce cou, cette poitrine et ces bras de statue qui ont été célèbres ». Surtout il faudrait ressusciter son animation, l’imprévu de son geste, de sa repartie…
Que penser de ce milieu, sinon qu’il était exceptionnellement lettré, vivant et varié. De là chez les enfants, chez Delphine surtout, la plus richement douée, cet épanouissement, cette joie de vivre. Avec sa beauté et ce qu’elle promettait de talent, elle ne fut jamais que fêtée. Cela pouvait être dangereux pour elle ; par bonheur, sa noble nature, naïve et fière, n’était pas sensible à la vanité. Elle nourrissait bien d’autres rêves ; et ces rêves, confus encore mais grands et purs, la préservaient.
Et puis, à certains égards, elle trouvait chez sa mère de beaux exemples. Mme Gay ne vivait pas uniquement la vie factice des salons. Depuis sa ruine, elle écrivait ; elle montrait bien ses solides qualités de courage en même temps que la délicatesse de ses talents. D’ailleurs sa plume était déjà experte. En 1802, au plus beau temps de sa prospérité, elle avait débuté dans les lettres par une apologie de Mme de Staël. La même année, son premier roman, Laure d’Estell, avait paru sans sa signature. Puis onze ans s’étaient écoulés. Ce fut en 1813 que Mme Gay revint aux travaux littéraires et cette fois sérieusement, pour tirer profit de sa plume. Jusqu’à sa mort, elle en usa pour les œuvres les plus diverses : romans romanesques, comédies, opéras-comiques, romans d’histoire, feuilletons. Ses filles ne la virent pas seulement le soir, entourée d’amis et excitée par le plaisir ; elles la virent aussi raturant des feuilles, corrigeant des épreuves, calculant ses maigres ressources ; et, à travers tout cela, toujours courageuse, toujours gaie, toujours au-dessus de la mauvaise fortune.