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REINE D’ARBIEUX

Le soleil touche le beau buffet hollandais qui abrite des livres, des miniatures, quelques faïences et des mouchoirs de dentelles tissées d’une trame arach­néenne, qui font rêver aux fils de la Vierge. A-t-elle jamais goûté cette joie de recevoir, dans son petit domaine, quelqu’un dont le regard en secret la cherche, l’épie, comme pour quêter sa sympathie ? Plaisir dangereux ! Elle ne le sait pas, ne veut pas le savoir, envahie par cet instinct de s’épanouir qui donne à la plante la force de percer les murailles.

Adrien s’était assis en face d’elle dans un fau­teuil bas, se débarrassait de son canotier, et tirait de ses poches les livres qu’il avait promis à Reine de lui apporter : Dominique, une anthologie des poètes contemporains. C’était son habileté de four­nir à la jeune femme des thèmes qui excitent l’ima­gination. Tous les rêves d’amour, de regret, revê­tus d’images chatoyantes, et qui éveillent des musiques enchantées dans un cœur sevré de plai­sirs, il se proposait de les glisser peu à peu en elle, comme un ennemi confie dans l’obscurité quelque brûlot à la nappe pure d’une eau printanière.

Il semble à Reine que Germain ne peut revenir encore : mais s’il rentrait, elle n’aurait pas peur, elle lèverait sur lui ses yeux caressants, ses yeux où brille une joie spontanée, et elle lui dirait : « M. Bernos est venu m’apporter des livres, et je l’ai prié de vous attendre. » C’était tellement simple. Est-ce qu’il n’était pas de la famille ? Il fallait guérir son mari de cette humeur insociable