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L’HOMME DE COUR

toujours au plus sûr. Et c’est encore en ce sens qu’est vrai cet ingénieux paradoxe ; La moitié est plus que le tout.

CLXXI

Ne pas abuser de la faveur.

Les grands amis sont pour les grandes occasions. Il ne faut pas employer beaucoup de faveur en des choses de peu d’importance, ce serait la dissiper. L’ancre sacrée est toujours gardée pour la dernière extrémité. Si l’on prodigue le beaucoup pour le peu, que restera-t-il pour le besoin à venir ? Aujourd’hui, il n’y a rien de meilleur que les protecteurs, ni rien de plus précieux que la faveur ; elle fait et défait, jusqu’à donner de l’esprit, et à l’ôter. La fortune a toujours été aussi marâtre aux sages que la nature et la renommée leur ont été favorables. Il vaut mieux savoir conserver ses amis que ses biens.

CLXXII

Ne s’engager point avec qui n’a rien à perdre.

C’est combattre à forces inégales, car l’autre entre en lice sans embarras. Comme il a perdu toute honte, il n’a plus rien à perdre, ni à ménager ; et ainsi il se jette à corps perdu dans toutes sortes d’extravagances. La réputation, qui est d’un prix inestimable, ne se doit jamais exposer à de si grands risques. Après avoir coûté beau-