Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
L’HOMME DE COUR

même où l’on a plus de raison et de certitude, c’est chose honnête de céder ; car alors personne n’ignore qui avait la raison ; et l’on voit aussi qu’outre la raison, la galanterie en est encore. Il se perd plus d’estime par une défense opiniâtre qu’il ne s’en gagne à l’emporter de vive force ; car ce n’est pas là défendre la vérité, mais plutôt montrer sa rusticité. Il y a des têtes de fer très difficiles à convaincre, et qui vont toujours à quelque extrémité incurable ; et quand une fois le caprice se joint à leur entêtement, ils font une alliance indissoluble avec l’extravagance. L’inflexibilité doit être dans la volonté, et non pas dans le jugement ; bien qu’il y ait des cas d’exception, où il ne faut pas se laisser gagner, ni vaincre doublement, c’est-à-dire dans la raison et dans l’exécution.

CLXXXIV

N’être point cérémonieux.

L’affectation de l’être fut autrefois censurée comme une singularité vicieuse, et même dans un roi. Le pointilleux est fatigant. Il y a des nations entières malades de cette délicatesse. La robe de la sottise se coud à petits points. Ces idolâtres de point d’honneur montrent bien que leur honneur est fondé sur peu de chose, puisque tout leur paraît capable de le blesser. Il est bon de se faire respecter, mais il est ridicule de passer pour un grand maître de compliments : il est bien vrai qu’un homme sans cérémonie a besoin d’avoir un grand mérite en la place. La courtoisie ne se doit ni affecter, ni mépriser. Celui-là ne