Page:Balzac, Chasles, Rabou - Contes bruns, 1832.djvu/401

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histoire… Je vous jure qu’il y a encore des nuits où je vois en rêve les deux sacrés yeux…

L’ancien chirurgien en chef s’arrêta, pâlit, et resta, la bouche ouverte, dans un véritable état d’épilepsie.

Nous nous retournâmes tous du côté du salon. A la porte était un grand d’Espagne, un afrancesados en exil, et arrivé depuis quinze jours en Touraine, avec sa famille. Il apparaissait pour la première fois dans le monde ; et, venu fort tard, il visitait les salons, accompagné de sa femme dont le bras droit restait immobile.

Nous nous séparâmes en silence pour laisser passer ce couple, que nous ne vîmes pas sans une émotion profonde.

C’était un vrai tableau de Murillo ! Le mari avait, sous des orbites creusés et noircis, des yeux de feu. Sa face était desséchée, son crâne sans cheveux, et son corps d’une maigreur effroyable. — La femme !… imaginez-la ? — non ! — vous ne la feriez pas vraie. — Elle avait une admirable taille ; elle était pâle, mais belle encore ; son teint, par un privilége inouï pour une Espagnole, était éclatant de blancheur ; mais son regard tombait sur vous comme un jet de plomb