Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/173

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— C’est vrai, me répondit en riant monsieur Dorlange, l’art est féroce : quelque part que lui apparaisse la matière de ses créations, il se précipite dessus en désespéré.

— L’art, repartis-je, est un grand mot sous lequel un monde de choses peut s’abriter ; l’autre jour vous me disiez que des circonstances trop longues à raconter avaient contribué à vous rendre toujours présente cette forme dont je suis un reflet, et qui a laissé une trace si vive dans votre mémoire, n’était-ce pas assez clairement me dire qu’en vous ce n’était pas seulement le sculpteur qui se souvenait ?

— Réellement, madame, le temps m’eût manqué pour mieux m’expliquer ; mais, dans tous les cas, ayant l’honneur de vous voir pour la première fois, ne m’eussiez-vous pas trouvé bien étrange de prétendre en être avec vous aux confidences ?

— Mais aujourd’hui ? répliquai-je effrontément.

— Aujourd’hui, à moins d’un encouragement exprès, j’aurais encore quelque peine à me persuader que rien de mon passé puisse bien vivement vous intéresser.

— Pourquoi cela ? il y a des connaissances qui mûrissent vite. Votre dévouement pour ma Naïs est dans la nôtre, une grande avance. D’ailleurs, ajoutai-je avec une étourderie jouée, j’aime à la folie les histoires.

— Outre que la mienne a le malheur de manquer de dénoûment, pour moi-même elle est restée une énigme.

— Raison de plus : à deux, peut-être, nous en trouverons le mot.

Monsieur Dorlange parut un moment se consulter ; puis, après un court silence :

— C’est vrai, dit-il, les femmes sont admirables à saisir dans les faits et dans les sentiments des nuances où nous autres hommes ne savons rien démêler. Mais cette confidence ne m’intéresse pas seul, et j’aurais besoin d’espérer qu’elle restera expressément entre nous ; je n’excepte pas même monsieur de l’Estorade de cette réserve ; au delà de celui qui le confie et de celui qui l’écoute, un secret est déjà entamé.