Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être tout ce que l’on peut supposer de plus efficace pour m’en tenir à distance. Ceci te paraît, n’est-ce pas, cruellement alambiqué et énigmatique, mais laisse un peu faire, je vais m’expliquer.

Si tu n’avais pas jugé convenable de rompre le fil qui, pendant longtemps, avait rattaché l’une à l’autre nos deux existences, je n’aurais pas aujourd’hui tant d’arriéré à reprendre ; mais puisque, entre nous, tu as rendu une liquidation nécessaire, il faut, mon cher garçon, prendre ton parti de toutes mes histoires et savoir bravement écouter.

En 1835, dernière année de mon séjour à Rome, je m’étais lié d’une intimité assez étroite avec un camarade de l’Académie nommé Desroziers.

C’était un musicien, esprit distingué et observateur qui, probablement aurait été loin dans son art, s’il n’eût été enlevé par une fièvre typhoïde, l’année qui suivit mon départ.

Un jour que l’idée nous avait pris de pousser jusqu’en Sicile, une de ces excursions permises par le règlement de l’école, nous nous trouvâmes radicalement à sec, et comme nous nous promenions par les rues de Rome, occupés à chercher un moyen de remettre un peu de prospérité dans nos finances, nous vînmes à passer devant le palais Braschi.

Ses portes grand’ouvertes donnaient accès à un va-et-vient de gens de toute sorte qui ne cessaient de sortir et d’entrer.

— Parbleu ! me dit Desroziers, c’est juste notre affaire ! Et sans qu’il veuille m’expliquer où il me mène, nous voilà suivant cette foule et pénétrant avec elle dans le palais.

Après avoir monté un magnifique escalier de marbre, et traversé une longue enfilade d’appartements assez pauvrement meublés, suivant la mode des palais romains qui ont tout leur luxe en plafonds, tableaux, statues et autres objets d’art, nous parvenons à une pièce entièrement tendue de noir, et illuminée par quantité de cierges. C’était, tu l’as déjà compris, une chambre ardente ; au milieu sur une estrade couronnée d’un riche baldaquin, reposait une chose à la fois la plus hideuse et la plus grotesque que tu puisses te figurer.