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heureux d’avoir pu nous habituer ici, en petit comité, aux usages de ces assemblées ; nous en serons plus forts, pour décider de l’avenir politique de la ville d’Arcis, car il s’agit aujourd’hui de substituer une ville à une famille, le pays à un homme…

Simon fit alors l’histoire des élections depuis vingt ans. Tout en approuvant la constante nomination de François Keller, il dit que le moment était venu de secouer le joug de la maison Gondreville. Arcis ne devait pas plus être un fief libéral qu’un fief des Cinq-Cygne. Il s’élevait en France, en ce moment, des opinions avancées, que les Keller ne représentaient pas. Charles Keller devenu vicomte, appartenait à la cour, il n’aurait aucune indépendance, car, en le présentant ici comme candidat, on pensait bien plus à faire de lui le successeur à la pairie de son père, que le successeur d’un député, etc. Enfin, Simon se présentait au choix de ses concitoyens en s’engageant à siéger auprès de l’illustre monsieur Odilon Barrot, et à ne jamais déserter le glorieux drapeau du progrès.

Le progrès, un de ces mots derrière lesquels on essayait alors de grouper beaucoup plus d’ambitions menteuses que d’idées ; car, après 1830, il ne pouvait représenter que les prétentions de quelques démocrates affamés. Néanmoins ce mot faisait encore beaucoup d’effet dans Arcis et donnait de la consistance à qui l’inscrivait sur son drapeau.

Se dire un homme de progrès, c’était se proclamer philosophe en toute chose, et puritain en politique. On se déclarait ainsi pour les chemins de fer, les mackintosh, les pénitenciers, le pavage en bois, l’indépendance des nègres, les caisses d’épargne, les souliers sans couture, l’éclairage au gaz, les trottoirs en asphalte, le vote universel, la réduction de la liste civile. Enfin c’était se prononcer contre les traités de 1815, contre la branche aînée, contre le colosse du Nord, la perfide Albion, contre toutes les entreprises, bonnes ou mauvaises, du gouvernement. Comme on le voit, le mot progrès peut aussi bien signifier : Non ! que : Oui !… C’est le réchampissage du mot libéralisme, un nouveau mot d’ordre pour des ambitions nouvelles.