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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/103

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une lettre de chacune de ces deux dames ; et, après les avoir lues, vous contremanderez la guillotine ! Si ça n’était pas ce que cela est, vous ne me verriez pas si tranquille. Ces dames sont d’ailleurs averties…

Monsieur de Grandville fit un geste de surprise.

— Elles doivent se donner à cette heure bien du mouvement, elles vont mettre en campagne le garde des sceaux, elles iront, qui sait, jusqu’au roi… Voyons, me donnez-vous votre parole d’ignorer qui sera venu, de ne pas suivre ni faire suivre pendant une heure cette personne ?

— Je vous le promets !

— Bien, vous ne voudriez pas, vous, tromper un forçat évadé. Vous êtes du bois dont sont faits les Turenne et vous tenez votre parole à des voleurs… Eh ! bien, dans la salle des Pas-Perdus, il y a dans ce moment une mendiante en haillons, une vieille femme, au milieu même de la salle. Elle doit causer avec un des écrivains publics de quelque procès de mur mitoyen ; envoyez votre garçon de bureau la chercher, en lui disant ceci : Dabor ti mandana. Elle viendra… Mais ne soyez pas cruel inutilement !… Ou vous acceptez mes propositions, ou vous ne voulez pas vous compromettre avec un forçat… Je ne suis qu’un faussaire, remarquez !… Eh ! bien, ne laissez pas Calvi dans les affreuses angoisses de la toilette…

— L’exécution est déjà contremandée… Je ne veux pas, dit monsieur de Grandville à Jacques Collin, que la justice soit au-dessous de vous !

Jacques Collin regarda le procureur général avec une sorte d’étonnement et lui vit tirer le cordon de sa sonnette.

— Voulez-vous ne pas vous échapper ? Donnez-moi votre parole, je m’en contente. Allez chercher cette femme…

Le garçon de bureau se montra.

« Félix, renvoyez les gendarmes… » dit monsieur de Grandville.

Jacques Collin fut vaincu.

Dans ce duel avec le magistrat, il voulait être le plus grand, le plus fort, le plus généreux, et le magistrat l’écrasait. Néanmoins, le forçat se sentit bien supérieur en ce qu’il jouait la justice, qu’il lui persuadait que le coupable était innocent, et qu’il disputait victorieusement une tête ; mais cette supériorité devait être sourde,