Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

petit-fils, et je travaille tant, tant, monsieur, que je ne dors pas plus de trois ou quatre heures par nuit.

— Monsieur, dit Godefroid en interrompant le vieillard qu’il avait écouté patiemment, en l’observant avec une douloureuse attention, je serai votre voisin, et je vous aiderai…

Le vieillard laissa échapper un geste de fierté, d’impatience même, car il ne croyait à rien de bon des hommes.

— Je vous aiderai, reprit Godefroid en prenant les mains au vieillard et les lui serrant avec une pieuse affection ; mais comme je puis vous aider… Écoutez-moi. Que comptez-vous faire de votre petit-fils ?

— Il va bientôt entrer à l’école de Droit, car il prendra la carrière du Palais.

— Votre petit-fils vous coûtera six cents francs par an alors…

Le vieillard garda le silence.

— Moi, dit Godefroid en continuant après une pause, je n’ai rien, mais je puis beaucoup : je vous aurai le médecin juif ! Et si votre fille est guérissable, elle sera guérie. Nous trouverons le moyen de récompenser cet Halpersohn.

— Oh ! si ma fille était guérie, je ferais un sacrifice que je ne puis faire qu’une fois ! s’écria le vieillard. Je vendrais la poire conservée pour la soif !

— Vous garderez la poire…

— Oh ! la jeunesse ! la jeunesse !… s’écria le vieillard en branlant la tête… Adieu, monsieur, ou plutôt au revoir. Voici l’heure de la bibliothèque, et comme j’ai vendu tous mes livres, je suis forcé d’y aller tous les jours pour mes travaux… Je vous tiens compte de ce bon mouvement que vous venez d’avoir ; mais nous verrons si vous m’accordez les ménagements que je dois demander à mon voisin. Voilà tout ce que j’attends de vous…

— Oui, laissez-moi, monsieur, être votre voisin ; car, voyez-vous, Barbet n’est pas homme à subir des non-valeurs pendant longtemps, et vous pourriez rencontrer un plus mauvais compagnon de misère que moi… Maintenant je ne vous demande pas de croire en moi, mais de me permettre de vous être utile…

— Et dans quel intérêt ? s’écria le vieillard qui se disposait à descendre les marches du cloître des Chartreux par où l’on passait alors de la grande allée du Luxembourg dans la rue d’Enfer.

— N’avez-vous donc dans vos fonctions obligé personne ?