Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/166

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— Acceptez tout de moi, mon cher monsieur Bernard, sans aucune défiance, et quand votre fille sera sauvée, quand vous serez heureux, je vous expliquerai tout ; mais jusque-là laissez-moi faire… Je suis allé chez le médecin juif, et malheureusement Halpersohn est absent ; il ne revient que dans deux jours…

En ce moment, une voix, qui parut être à Godefroid et qui réellement était d’un timbre frais et mélodieux, cria : — « Papa ! papa ! » sur deux notes expressives.

En parlant au vieillard, Godefroid avait déjà remarqué, dans les rainures de la porte qui faisait face à la porte d’entrée, les lignes blanches d’une peinture soignée qui révélaient de grandes différences entre la chambre de la malade et les autres pièces de ce logement ; mais sa curiosité si vivement excitée fut alors portée au plus haut degré, sa mission de bienfaisance n’était plus qu’un prétexte, le but fut de voir la malade. Il se refusait à croire qu’une créature douée d’une semblable voix pût être un objet de dégoût.

— Vous vous donnez vraiment trop de peine, papa !… disait la voix. Pourquoi ne pas avoir plus de domestiques que vous n’en avez… à votre âge !… mon Dieu !…

— Tu sais bien, ma chère Vanda, que je ne veux pas que d’autres que ton fils et moi te servent.

Ces deux phrases que Godefroid entendit à travers la porte ou plutôt devina, car une portière étouffait les sons, lui fit pressentir la vérité. La malade, entourée de luxe, devait ignorer la situation réelle de son père et de son fils. La douillette de soie de monsieur Bernard, les fleurs et sa conversation avec Cartier avaient déjà donné quelques soupçons à Godefroid qui restait là, presque hébêté de ce prodige d’amour paternel. Le contraste entre la chambre de la malade telle qu’il se la figurait et le reste, était d’ailleurs étourdissant. Qu’on en juge !

Par la porte de la troisième chambre, que le vieillard avait laissée entr’ouverte, Godefroid aperçut deux couchettes jumelles en bois peint comme les couchettes des pensions infimes, et garnies d’une paillasse et d’un petit matelas mince, sur lesquels il n’y avait qu’une couverture. Un petit poêle en fonte, pareil à ceux sur le couvercle desquels les portiers font leur cuisine, et au bas duquel se voyait une dizaine de mottes, eût expliqué le dénuement de monsieur Bernard sans les autres détails tout à fait en harmonie avec cet horrible poêle.