Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/165

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celles-là, et il a fallu réserver la somme de notre loyer, sous peine d’être chassés d’ici. Vous à qui j’ai confié l’état dans lequel est ma fille et qui l’avez entendue…

Il regarda d’un air inquiet Godefroid, qui fit un signe affirmatif.

— Eh bien, jugez si ce ne serait pas le coup de la mort… car il faudrait la mettre dans un hôpital… Mon petit-fils et moi, nous redoutions cette matinée, et ce n’était pas Cartier que nous craignions le plus, mais le froid…

— Mon cher monsieur Bernard, j’ai du bois, prenez-en, reprit Godefroid.

— Comment, s’écria le vieillard, reconnaître jamais de tels services ?…

— En les acceptant sans façon, répliqua vivement Godefroid, et en m’accordant toute confiance.

— Mais quels sont mes droits à tant de générosité ? demanda monsieur Bernard redevenant défiant. Ma fierté, celle de mon petit-fils, sont vaincues ! s’écria-t-il, car nous sommes déjà descendus à des explications avec les deux ou trois créanciers que nous avons. Les malheureux n’ont pas de créanciers ; il faut, pour en avoir, une certaine splendeur extérieure que nous avons perdue… Mais je n’ai pas encore abdiqué mon bon sens, ma raison… ajouta-t-il comme s’il se fût parlé à lui-même.

— Monsieur, répondit sérieusement Godefroid, le récit que vous m’avez fait hier tirerait des larmes à un usurier.

— Non, non, car Barbet, ce libraire, notre propriétaire, spécule sur ma misère et la fait espionner par cette Vauthier, son ancienne servante…

— Comment peut-il spéculer sur vous ? demanda Godefroid.

— Je vous dirai cela plus tard, répondit le vieillard. Ma fille peut avoir froid, et puisque vous le permettez, je suis dans une situation à recevoir l’aumône de mon plus cruel ennemi…

— Je vais vous porter du bois, dit Godefroid qui traversa le palier en tenant une dizaine de bûches qu’il déposa dans la première pièce de l’appartement du vieillard.

Monsieur Bernard en avait pris autant, et quand il vit cette petite provision de bois, il ne put réprimer le sourire niais et quasiment imbécile par lequel les gens sauvés d’un danger mortel, et qui leur semble inévitable, expriment leur joie, car il y a de la terreur encore dans cette joie.