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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/194

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qui m’a conduit ici. Je vous obéirai en tout, jusqu’à ce que vous me trouviez capable d’être un des vôtres.

— Eh ! bien, répondit gravement madame de La Chanterie après avoir réfléchi, écoutez-moi, car j’ai des choses importantes à vous révéler. Vous avez été séduit, mon enfant, par la poésie du malheur. Oui, souvent le malheur a de la poésie ; car, pour moi, la poésie est un certain excès dans le sentiment, et la douleur est un sentiment. On vit tant par la douleur !…

— Oui, madame, j’ai été pris du démon de la curiosité… Que voulez-vous ? Je n’ai pas encore l’habitude de pénétrer au cœur des existences malheureuses, et je n’y vais pas avec la tranquillité de vos trois pieux soldats du Seigneur. Mais, sachez-le bien, c’est après l’épuisement de cette irritation que je me suis voué à votre œuvre !…

— Écoutez, mon cher ange, dit madame de La Chanterie, qui prononça ces trois mots avec une douce sainteté dont fut singulièrement touché Godefroid, nous nous sommes interdit, mais absolument, nous ne forçons point les mots ici. Ce qui est interdit n’occupe pas même notre pensée… Donc nous nous sommes interdit d’entrer dans les spéculations. Imprimer un livre pour le vendre, en attendre des bénéfices, c’est une affaire, et les opérations de ce genre nous jetteraient dans les embarras du commerce. Certes, ceci me semble assez faisable, nécessaire même. Croyez-vous que ce soit le premier cas qui se présente ? Nous avons vingt fois, cent fois aperçu le moyen de sauver ainsi des familles, des maisons ! Or, que serions-nous devenus avec des affaires de ce genre ? Nous aurions été négociants… Commanditer le malheur, ce n’est pas travailler soi-même, c’est mettre le malheur à même de travailler. Dans quelques jours vous rencontrerez des misères plus âpres que celle-ci, ferez-vous la même chose ? Vous seriez accablé ! Songez, mon enfant, que messieurs Mongenod ne peuvent plus, depuis un an, se charger de notre comptabilité. Vous aurez la moitié de votre temps pris par la tenue de nos livres. Nous avons aujourd’hui près de deux mille débiteurs dans Paris ; et au moins faut-il que, pour ceux qui peuvent nous rendre, nous sachions le chiffre de leur dette… Nous ne demandons jamais, nous attendons. Nous calculons que la moitié de l’argent donné se perd. L’autre moitié nous revient quelquefois doublée… Ainsi, supposez que ce magistrat meure, voilà douze mille francs bien aventurés. Mais que sa