Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/320

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trompeuse ressemble à de la lâcheté ; mais l’apprentissage des affaires chez un notaire de province avait fait contracter à Sibilet l’habitude de cacher ce défaut sous un air bourru qui simulait une force absente. Beaucoup de gens faux abritent leur platitude sous la brusquerie ; brusquez-les, vous produirez l’effet du coup d’épingle sur le ballon. Tel était le fils du greffier. Mais comme les hommes, pour la plupart, ne sont pas observateurs, et que, parmi les observateurs, les trois quarts observent après coup, l’air grognon d’Adolphe Sibilet passait pour l’effet d’une rude franchise, d’une capacité vantée par son patron, et d’une probité revêche qu’aucune éprouvette n’avait essayée. Il est des gens qui sont servis par leurs défauts comme d’autres par leurs qualités.

Adeline Sarcus, jolie personne élevée par sa mère, morte trois ans avant ce mariage, aussi bien qu’une mère peut élever une fille unique au fond d’une petite ville, aimait le jeune et beau Lupin, fils unique du notaire de Soulanges. Dès les premiers chapitres de ce roman, le père Lupin qui visait pour son fils mademoiselle Elise Gaubertin, envoya le jeune Amaury Lupin à Paris, chez son correspondant, maître Crottat, notaire, où sous prétexte d’apprendre à faire des actes et des contrats, Amaury fit plusieurs actes de folie et contracta des dettes, entraîné par un certain Georges Marest, clerc de l’Etude, jeune homme riche qui lui révéla les mystères de la vie parisienne. Quand maître Lupin alla chercher son fils à Paris, Adeline s’appelait déjà madame Sibilet. En effet, lorsque l’amoureux Adolphe se présenta, le vieux juge-de-paix, stimulé par Lupin le père, hâta le mariage auquel Adeline se livra par désespoir.

Le Cadastre n’est pas une carrière. Il est, comme beaucoup de ces sortes d’administrations sans avenir, une espèce de trou dans l’écumoire gouvernementale. Les gens qui se lancent par ces trous (la topographie, les ponts-et-chaussées, le professorat, etc.) s’aperçoivent toujours un peu tard que de plus habiles, assis à côté d’eux, s’humectent des sueurs du peuple, disent les écrivains de l’Opposition, toutes les fois que l’écumoire plonge dans l’Impôt, au moyen de cette machine appelée Budget. Adolphe, travaillant du matin au soir et gagnant peu de chose à travailler, reconnut bientôt l’infertile profondeur de son trou. Aussi songeait-il, en trottant de commune en commune et dépensant ses appointements en souliers et en frais de voyages, à chercher une place stable et bénéficieuse.