Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/345

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la plupart d’accord avec Courtecuisse, et déférés au tribunal de paix jugeant correctionnellement à Soulanges, avaient donné lieu à soixante-neuf jugements en règle, levés, expédiés, en vertu desquels Brunet, enchanté d’une si bonne aubaine, avait fait les actes rigoureusement nécessaires pour arriver à ce qu’on nomme, en style judiciaire, des procès-verbaux de carence, extrémité misérable où cesse le pouvoir de la justice. C’est un acte par lequel l’huissier constate que la personne poursuivie ne possède rien, et se trouve dans la nudité de l’indigence. Or, là où il n’y a rien, le créancier, de même que le roi, perd ses droits…. de poursuite. Ces indigents, choisis avec discernement, demeuraient dans cinq communes environnantes où l’huissier s’était transporté, dûment assisté de ses praticiens, Vermichel et Fourchon. Monsieur Brunet avait transmis les pièces à Sibilet en les accompagnant d’un mémoire de frais de cinq mille francs, et le priant de demander de nouveaux ordres au comte de Montcornet.

Au moment où Sibilet, muni des dossiers, avait expliqué tranquillement au patron le résultat des ordres trop sommairement donnés à Courtecuisse, et contemplait d’un air tranquille une des plus violentes colères qu’un général de cavalerie française ait eue, Courtecuisse arriva pour rendre ses devoirs à son maître et lui demander environ onze cents francs, somme à laquelle montaient les gratifications promises. Le naturel prit alors le mors aux dents et emporta le général qui ne se souvint plus de sa couronne comtale ni de son grade, il redevint cuirassier et vomit des injures dont il devait être honteux plus tard.

— Ah ! quatre cents francs ! quatre cent mille gifles !… quatre cent mille coups de pieds au… Crois-tu que je ne connaisse pas les couleurs !… Tourne-moi les talons ou je t’aplatis !

A l’aspect du général devenu violet, et dès les premiers mots, Courtecuisse s’était enfui comme une hirondelle.

— Monsieur le comte, disait Sibilet tout doucement, vous avez tort.

— Moi, tort ?…

— Mon Dieu, monsieur le comte, prenez garde, vous aurez un procès avec ce drôle…

— Je me moque bien des procès… Allez, que le gredin sorte à l’instant même, veillez à ce qu’il laisse tout ce qui m’appartient, et faites le compte de ses gages.