Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/351

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me l’a dit. Sachez-le ! Depuis Couches jusqu’à La-Ville-aux-Fayes, il n’est pas de paysan, de petit bourgeois, de fermier, de cabaretier, qui n’ait son argent prêt pour le jour de la curée. Fourchon m’a confié que Tonsard, son gendre, a déjà jeté son dévolu… L’opinion que vous vendrez les Aigues règne dans la vallée, comme un poison dans l’air. Peut-être le pavillon de la Régie et quelques terres à l’entour, est-il le prix dont est payé l’espionnage de Sibilet ? Il ne se dit rien entre nous qui ne se sache à La-Ville-aux-Fayes. Sibilet est parent à votre ennemi, Gaubertin. Ce qui vient de vous échapper sur le Procureur-général sera rapporté peut-être à ce magistrat avant que vous ne soyez à la Préfecture. Vous ne connaissez pas les gens de ce canton-ci !

— Je ne les connais pas ?… c’est de la canaille, et lâcher pied devant de pareils gredins ?… s’écria le général, ah ! plutôt cent fois brûler moi-même les Aigues !…

— Ne les brûlons pas, et adoptons un plan de conduite qui déjoue les ruses de ces Lilliputiens. A les entendre dans leurs menaces, on est décidé à tout contre vous ; aussi, mon général, puisque vous parlez d’incendie, assurez tous vos bâtiments et toutes vos fermes !

— Ah ! sais-tu, Michaud, ce qu’ils veulent dire avec leur Tapissier ? Hier, en allant le long de la Thune, j’entendais les petits gars disant : — " Voilà le Tapissier !… " et ils se sauvaient.

— Ce serait à Sibilet à vous répondre, il serait dans son rôle, car il aime à vous voir en colère, répondit Michaud d’un air navré ; mais puisque vous me le demandez… eh ! bien, c’est le surnom que ces brigands-là vous ont donné, mon général.

— A cause de quoi ?…

— Mais, mon général, à cause de… votre père…

— Ah ! les mâtins !… s’écria le comte devenu blême. Oui, Michaud, mon père était marchand de meubles, ébéniste, la comtesse n’en sait rien… Oh ! que jamais… Et après tout, j’ai fait valser des reines et des impératrices !… je lui dirai tout ce soir ! s’écria-t-il après une pause.

— Ils prétendent que vous êtes un lâche, reprit Michaud.

— Ah !

— Ils demandent comment vous avez pu vous sauver à Essling, là où presque tous les camarades ont péri…

Cette accusation fit sourire le général.