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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/362

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destitués s’ils faiblissaient ; aussi les préfets biaisaient-ils avec ces accidents déplorables.

Dès le début de la conversation, Sarcus-le-Riche avait fait au Procureur-général et au Préfet un signe que Montcornet ne vit pas et qui détermina l’allure de la conversation. Le Procureur-général connaissait la situation des Aigues par son subordonné Soudry, qui lui avait fait craindre des résistances de la part des Bourguignons de l’Avonne.

— Je prévois une lutte terrible, dit le procureur du roi de La-Ville-aux-Fayes à son chef qu’il était venu voir exprès. On nous tuera des gendarmes, je le sais par mes espions. Nous aurons un méchant procès. Le Jury ne nous soutiendra pas quand il se verra sous le coup de la haine des familles de vingt ou trente accusés, il ne nous accordera pas la tête des meurtriers ni les années de bagne que nous demanderons pour les complices. A peine obtiendrez-vous, en plaidant vous-même, quelques années de prison pour les plus coupables. Il vaut mieux fermer les yeux que de les ouvrir quand, en les ouvrant, nous sommes certains d’exciter une collision qui coûtera du sang, et peut-être six mille francs de frais à l’État, sans compter l’entretien de ces gens-là au Bagne. C’est cher pour un triomphe qui, certes, exposera la faiblesse de la justice à tous les regards.

Incapable de soupçonner l’influence du népotisme, Montcornet ne parla donc pas de Gaubertin, dont la main attisait le foyer de ces renaissantes difficultés. Après le déjeuner, le Procureur-général prit le comte de Montcornet par le bras et l’emmena dans le cabinet du Préfet. Au sortir de cette conférence, le général Montcornet, sagement conseillé par le Procureur-général, écrivit à la comtesse qu’il partait pour Paris et qu’il ne serait de retour que dans une semaine. On verra, par l’exécution des mesures que dicta le baron Bourlac, combien ses avis étaient sages. Et si les Aigues pouvaient échapper au mauvais gré, ce devait être en se conformant à la politique que ce magistrat venait de conseiller secrètement au comte de Montcornet.

Quelques esprits, avides d’intérêt avant tout, accuseront ces explications de longueur. Mais il est utile de faire observer ici que, d’abord, l’historien des mœurs obéit à des lois plus dures que celles qui régissent l’historien des faits, il doit rendre tout probable, même le vrai ; tandis que, dans le domaine de l’histoire proprement dite, l’impossible est justifié par la raison qu’il est advenu. Les vicissitudes de la vie sociale ou privée sont engendrées