Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/399

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chevaux entre Waterloo et Paris (on sait pourquoi ! il gagna tout ce que perdit l’Empereur, une royauté), ne devança la fatale nouvelle que de quelques heures. Donc une heure après la lutte entre la vieille Tonsard et Vatel, plusieurs autres habitués du Grand-I-Vert s’y trouvaient réunis.

Le premier venu fut Courtecuisse, en qui vous eussiez difficilement reconnu le jovial garde-chasse, le chanoine rubicond à qui sa femme faisait son café au lait le matin, comme on l’a vu dans le récit des événements antérieurs. Vieilli, maigre, hâve, il offrait à tous les yeux une leçon terrible qui n’éclairait personne.

— Il a voulu monter plus haut que l’échelle, disait-on à ceux qui plaignaient l’ex-garde-chasse en accusant Rigou. Il a voulu devenir bourgeois !

En effet, Courtecuisse en achetant le domaine de la Bâchelerie avait voulu passer bourgeois, il s’en était vanté. Sa femme allait ramassant des fumiers ! Elle et Courtecuisse se levaient avant le jour, piochaient leur jardin richement fumé, lui faisaient rapporter plusieurs moissons, sans parvenir à payer autre chose que les intérêts dus à Rigou pour le restant du prix. Leur fille en service à Auxerre, leur envoyait ses gages ; mais malgré tant d’efforts, malgré ce secours, ils se voyaient au terme du remboursement sans un rouge liard. Madame Courtecuisse, qui, jadis se permettait de temps en temps une bouteille de vin cuit et des rôties, ne buvait plus que de l’eau. Courtecuisse n’osait pas entrer, la plupart du temps, au Grand-I-Vert de peur d’y laisser trois sous. Destitué de son pouvoir, il avait perdu ses franches lippées au cabaret, et il criait, comme tous les niais, à l’ingratitude. Enfin, à l’instar de presque tous les paysans mordus par le démon de la propriété, devant des fatigues croissantes, la nourriture décroissait.

— Courtecuisse a bâti trop de murs, disait-on en enviant sa position ; pour faire des espaliers, il fallait attendre qu’il fût le maître.

Le bonhomme avait amendé, fertilisé les trois arpents de terre vendus par Rigou, le jardin attenant à la maison commençait à produire, et il craignait d’être exproprié ! Vêtu comme Fourchon, lui, qui jadis portait des souliers et des guêtres de chasseur, allait les pieds dans des sabots, et il accusait le bourgeois des Aigues d’avoir causé sa misère ! Ce souci rongeur donnait à ce gros petit homme, à sa figure autrefois rieuse, un air sombre et abruti qui