Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/463

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ce roman. On y voyait des nègres récoltant le café, qui se trouvait au moins quelque part dans cet établissement, où l’on ne buvait pas trente tasses de café par mois. Les denrées coloniales étaient si peu dans les habitudes soulangeoises, qu’un étranger qui serait venu demander une tasse de chocolat aurait mis le père Socquard dans un étrange embarras ; néanmoins, il aurait obtenu la nauséabonde bouillie brune que produisent ces tablettes où il entre plus de farine, d’amandes pilées et de cassonade que de sucre et de cacao, vendues à deux sous par les épiciers de village, et fabriquées dans le but évident de ruiner le commerce de cette boisson espagnole.

Quant au café, le père Socquard le faisait tout uniment bouillir dans un vase connu de tous les ménages sous le nom de grand pot brun ; il laissait tomber au fond la poudre mêlée de chicorée, et il servait la décoction avec un sang-froid digne d’un garçon de café de Paris, dans une tasse de porcelaine qui, jetée par terre, ne se serait pas fêlée.

En ce moment, le saint respect que causait le sucre, sous l’Empereur, ne s’était pas encore dissipé dans la ville de Soulanges, et mademoiselle Socquard apportait bravement quatre morceaux de sucre gros comme des noisettes, au marchand forain qui s’avisait de demander ce breuvage littéraire.

La décoration, relevée de glaces à cadres dorés et de patères pour accrocher les chapeaux, n’avait pas été changée depuis l’époque où tout Soulanges vint admirer cette tenture prestigieuse et un comptoir peint en bois d’acajou, à dessus de marbre Sainte-Anne, sur lequel brillaient des vases en plaqué, des lampes à double courant d’air, qui furent, dit-on, données par Gaubertin à la belle madame Socquard. C’est assez indiquer une couche gluante qui ternissait tout, et qui ne peut se comparer qu’à celle dont sont couverts les vieux tableaux oubliés dans les greniers.

Les tables peintes en marbre, les tabourets en velours d’Utrecht rouge, le quinquet à globe plein d’huile alimentant deux becs et attaché par une chaîne au plafond et enjolivé de cristaux, commencèrent la célébrité du Café de la Guerre. Là, de 1802 à 1814, tous les bourgeois de Soulanges allaient jouer aux dominos et au brelan, en buvant des petits verres de liqueur, du vin cuit ; en y prenant des fruits à l’eau-de-vie, des biscuits ; car la cherté des denrées coloniales avait banni le café,