Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/484

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’y était parvenu qu’en prenant les vieilles femmes, les mères et les grand’mères de ceux qui possédaient quelque chose, mais qui n’avaient rien à elles comme la mère de Tonsard. Ce Laroche, le vieil ouvrier délinquant, ne valait absolument rien ; il n’avait pas, comme Tonsard, un sang chaud et vicieux, il était animé d’une haine sourde et froide, il travaillait en silence, il gardait un air farouche ; le travail lui était insupportable, et il ne pouvait vivre qu’en travaillant ; ses traits étaient durs, leur expression repoussante. Malgré ses soixante ans, il ne manquait pas de force, mais son dos avait faibli, il était voûté, il se voyait sans avenir, sans un bout de champ à lui, et il enviait ceux qui possédaient de la terre ; aussi dans la forêt des Aigues était-il sans pitié. Il y faisait avec plaisir des dévastations inutiles.

— Les laisserons-nous emmener ? disait Laroche. Après Couches, on viendra à Blangy ; je suis en récidive ; j’en ai pour trois mois de prison.

— Et que faire contre la gendarmerie ? vieil ivrogne ? lui dit Vaudoyer.

— Tiens ! est-ce qu’avec nos faux nous ne couperons pas bien les jambes à leurs chevaux ? ils seront bientôt par terre, leurs fusils ne sont pas chargés, et quand ils se verront un contre dix, il faudra bien qu’ils déguerpissent. Si les trois villages se soulevaient et qu’on tuât deux ou trois gendarmes, guillotinerait-on tout le monde ? Faudrait bien plier comme au fond de la Bourgogne où, pour une affaire semblable, on a envoyé un régiment. Ah bah ! le régiment s’en est allé ; les pésans ont continué d’aller au bois où ils allaient depuis des années comme ici.

— Tuer pour tuer, dit Vaudoyer, il vaudrait mieux n’en tuer qu’un ; mais là, sans danger, et de manière à dégoûter tous les Arminacs du pays.

— Lequel de ces brigands ? demanda Laroche.

— Michaud, dit Courtecuisse ; il a raison, Vaudoyer, il a grandement raison. Vous verrez que quand un garde aura été mis à l’ombre, on n’en trouvera pas facilement d’autres qui resteront au soleil à surveiller. Ils y sont le jour, mais c’est qu’ils y sont encore la nuit. C’est des démons, quoi ?…

— Partout où vous allez, dit la vieille Tonsard, qui avait soixante-dix-huit ans et qui montra sa figure de parchemin, percée de mille trous et de deux yeux verts, ornée de ses cheveux d’un