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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/585

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qu’on ne saurait l’acheter trop cher. Adolphe rit, dans sa barbe, en prévoyant une catastrophe qui lui rendra le pouvoir.

Troisième époque. — Caroline, pénétrée de cette vérité qu’il faut manger uniquement pour vivre, fait jouir Adolphe des agréments d’une table cénobitique.

Adolphe a des chaussettes lézardées ou grosses du lichen des raccommodages faits à la hâte, car sa femme n’a pas assez de la journée pour ce qu’elle veut faire. Il porte des bretelles noircies par l’usage. Le linge est vieux et bâille comme un portier ou comme la porte cochère. Au moment où Adolphe est pressé de conclure une affaire, il met une heure à s’habiller en cherchant ses affaires une à une, en dépliant beaucoup de choses avant d’en trouver une qui soit irréprochable. Mais Caroline est très-bien mise. Madame a de jolis chapeaux, des bottines en velours, des mantilles. Elle a pris son parti, elle administre en vertu de ce principe : Charité bien ordonnée commence par elle-même. Quand Adolphe se plaint du contraste entre son dénûment et la splendeur de Caroline, Caroline lui dit : ─ Mais tu m’as grondée de ne rien m’acheter !…

Un échange de plaisanteries plus ou moins aigres commence à s’établir alors entre les époux. Caroline, un soir, se fait charmante, afin de glisser l’aveu d’un déficit assez considérable, absolument comme quand le Ministère se livre à l’éloge des contribuables, et se met à vanter la grandeur du pays en accouchant d’un petit projet de loi qui demande des crédits supplémentaires. Il y a cette similitude que tout cela se fait dans la Chambre, en gouvernement comme en ménage. Il en ressort cette vérité profonde que le système constitutionnel est infiniment plus coûteux que le système monarchique. Pour une nation comme pour un ménage, c’est le gouvernement du juste-milieu, de la médiocrité, des chipoteries, etc.

Adolphe, éclairé par ses misères passées, attend une occasion d’éclater, et Caroline s’endort dans une trompeuse sécurité.

Comment arrive la querelle ? sait-on jamais quel courant électrique a décidé l’avalanche ou la révolution ? elle arrive à propos de tout et à propos de rien. Mais enfin, Adolphe, après un certain temps qui reste à déterminer par le bilan de chaque ménage, au milieu d’une discussion, lâche ce mot fatal : ─ Quand j’étais garçon !…

Le temps de garçon est, relativement à la femme, ce qu’est le :