Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/646

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quelques instants, à l’aurore de l’amour, et elle s’éteint aussitôt comme une étoile qui file.

Pour toute femme qui n’est ni Hollandaise, ni Anglaise, ni Belge, ni d’aucun pays marécageux, l’amour est un prétexte à souffrance, un emploi des forces surabondantes de son imagination et de ses nerfs.

Aussi, la seconde idée qui saisit une femme heureuse, une femme aimée, est-elle la crainte de perdre son bonheur ; car il faut lui rendre la justice de dire que la première, c’est d’en jouir. Tous ceux qui possèdent des trésors craignent les voleurs ; mais ils ne prêtent pas, comme la femme, des pieds et des ailes aux pièces d’or.

La petite fleur bleue de la félicité parfaite n’est pas si commune, que l’homme béni de Dieu qui la tient, soit assez niais pour la lâcher.


axiome.

Aucune femme n’est quittée sans raison.

Cet axiome est écrit au fond du cœur de toutes les femmes, et de là vient la fureur de la femme abandonnée.

N’entreprenons pas sur les petites misères de l’amour ; nous sommes dans une époque calculatrice où l’on quitte peu les femmes, quoi qu’elles fassent ; car, de toutes les femmes, aujourd’hui, la légitime (sans calembour) est la moins chère. Or, chaque femme aimée a passé par la petite misère du soupçon. Ce soupçon, juste ou faux, engendre une foule d’ennuis domestiques, et voici le plus grand de tous.

Un jour, Caroline finit par s’apercevoir que l’Adolphe chéri la quitte un peu trop souvent pour une affaire, l’éternelle affaire Chaumontel, qui ne se termine jamais.


axiome.

Tous les ménages ont leur affaire Chaumontel. (Voir la misère dans la misère.)

D’abord, la femme ne croit pas plus aux affaires que les directeurs de théâtre et les libraires ne croient à la maladie des actrices et des auteurs.

Dès qu’un homme aimé s’absente, l’eût-elle rendu trop heureux, toute femme imagine qu’il court à quelque bonheur tout prêt.