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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/8

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Cette pensée, si elle n’altère pas l’indépendance du magistrat, est trop connue et trop naturelle, on en voit trop d’effets, pour que la magistrature ne perde pas de sa majesté dans l’opinion publique. Le traitement payé par l’État fait du prêtre et du magistrat, des employés. Les grades à gagner développent l’ambition ; l’ambition engendre une complaisance envers le pouvoir ; puis l’égalité moderne met le justiciable et le juge sur la même feuille du parquet social. Ainsi les deux colonnes de tout ordre social, la Religion et la Justice, se sont amoindries au dix-neuvième siècle, où l’on se prétend en progrès sur toute chose.

— Et pourquoi n’avancerais-tu pas ? dit Amélie Camusot.

Elle regarda son mari d’un air railleur, en sentant la nécessité de rendre de l’énergie à l’homme qui portait son ambition, et de qui elle jouait comme d’un instrument.

— Pourquoi désespérer ? reprit-elle en faisant un geste qui peignit bien son insouciance quant à la mort du prévenu. Ce suicide va rendre heureuses les deux ennemies de Lucien, madame d’Espard et sa cousine, la comtesse Châtelet. Madame d’Espard est au mieux avec le garde des sceaux ; et, par elle, tu peux obtenir une audience de Sa Grandeur, où tu lui diras le secret de cette affaire. Or, si le ministre de la justice est pour toi, qu’as-tu donc à craindre de ton président et du procureur général ?…

— Mais monsieur et madame de Sérizy !… s’écria le pauvre juge. Madame de Sérizy, je te le répète, est folle ! et folle par ma faute, dit-on !

— Eh ! si elle est folle, juge sans jugement, s’écria madame Camusot en riant, elle ne pourra pas te nuire ! Voyons, raconte-moi toutes les circonstances de la journée.

— Mon Dieu, répondit Camusot, au moment où j’avais confessé ce malheureux jeune homme et où il venait de déclarer que ce soi-disant prêtre espagnol est bien Jacques Collin, la duchesse de Maufrigneuse et madame de Sérizy m’ont envoyé, par un valet de chambre, un petit mot où elles me priaient de ne pas l’interroger. Tout était consommé…

— Mais, tu as donc perdu la tête ! dit Amélie ; car, sûr comme tu l’es de ton commis-greffier, tu pouvais alors faire revenir Lucien, le rassurer adroitement, et corriger ton interrogatoire !

— Mais tu es comme madame de Sérizy, tu te moques de la justice ! dit Camusot incapable de se jouer de sa profession.