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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/81

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— La situation de Léontine m’a tellement occupée que je me suis entièrement oubliée, dit-elle. La pauvre femme était déjà quasi folle avant-hier, jugez de ce qu’a dû produire de désordre en elle le fatal événement ! Ah ! si vous saviez, ma petite, quelle matinée nous avons eue hier… Non, c’est à faire renoncer à l’amour. Hier, traînées toutes les deux, Léontine et moi, par une atroce vieille, une marchande à la toilette, une maîtresse femme, dans cette sentine puante et sanglante qu’on nomme la Justice, je lui disais, en la conduisant au Palais : « N’est-ce pas à tomber sur ses genoux et à crier, comme madame de Nucingen, quand, en allant à Naples, elle a subi l’une de ces tempêtes effrayantes de la Méditerranée : — « Mon Dieu ! sauvez-moi, et plus jamais ! » Certes, voici deux journées qui compteront dans ma vie ! sommes-nous stupides d’écrire ?… Mais on aime ! on reçoit des pages qui vous brûlent le cœur par les yeux, et tout flambe ! et la prudence s’en va ! et l’on répond…

— Pourquoi répondre, quand on peut agir ! dit madame Camusot.

— Il est si beau de se perdre !… reprit orgueilleusement la duchesse. C’est la volupté de l’âme.

— Les belles femmes, répliqua modestement madame Camusot, sont excusables, elles ont bien plus d’occasions que nous autres de succomber !

La duchesse sourit.

— Nous sommes toujours trop généreuses, reprit Diane de Maufrigneuse. Je ferai comme cette atroce madame d’Espard.

— Et que fait-elle ? demanda curieusement la femme du juge,

— Elle a écrit mille billets doux…

— Tant que cela !… s’écria la Camusot en interrompant la duchesse.

— Eh bien ! ma chère, on n’y pourrait pas trouver une phrase qui la compromette…

— Vous seriez incapable de conserver cette froideur, cette attention, répondit madame Camusot. Vous êtes femme, vous êtes de ces anges qui ne savent pas résister au diable…

— Je me suis juré de ne plus jamais écrire. Je n’ai, dans toute ma vie, écrit qu’à ce malheureux Lucien… Je conserverai ses lettres jusqu’à ma mort ! Ma chère petite, c’est du feu, on a besoin quelquefois…