Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/141

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PHILIPPE II.

Tais-toi, duc de Lerme. Le devoir d’un roi est d’élever l’homme de génie au-dessus de tous, pour honorer le rayon de lumière que Dieu met en lui.

LE GRAND INQUISITEUR.

Sire…

PHILIPPE II.

Que veux-tu ?

LE GRAND INQUISITEUR.

Nous ne retenions pas cet homme parce qu’il avait un commerce avec le démon, ni parce qu’il était impie, ni parce qu’il était d’une famille soupçonnée d’hérésie ; mais pour la sûreté des monarchies. En permettant aux esprits de se communiquer leurs pensées, l’imprimerie a déjà produit Luther, dont la parole a eu des ailes. Mais cet homme va faire, de tous les peuples, un seul peuple ; et, devant cette masse, le saint-office a tremblé pour la royauté.

PHILIPPE II.

Tout progrès vient du ciel.

LE GRAND INQUISITEUR.

Le ciel n’ordonne pas tout ce qu’il laisse faire.

PHILIPPE II.

Notre devoir consiste à rendre bonnes les choses qui paraissent mauvaises, à faire de tout un point du cercle dont le trône est le centre. Ne vois-tu pas qu’il s’agit de réaliser la domination universelle que voulait mon glorieux père… (À Fontanarès.) Donc, grand d’Espagne de première classe, et je mettrai sur ta poitrine la Toison-d’Or tu seras enfin grand-maître des constructions navales de l’Espagne et des Indes… (À un ministre.) Président, tu expédieras aujourd’hui même, sous peine de me déplaire, l’ordre de mettre à la disposition de cet homme, dans notre port de Barcelone, un vaisseau à son choix, et… qu’on ne fasse aucun obstacle à son entreprise.

QUINOLA.

Sire…

PHILIPPE II.

Que veux-tu ?

QUINOLA.

Pendant que vous y êtes, accordez, Sire, la grâce d’un misérable nommé Lavradi, condamné par un alcade qui était sourd.