Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/27

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Scène IV.

LE DUC, SAINT-CHARLES.
SAINT-CHARLES.

C’est fait, monsieur le duc. Désirez-vous savoir ce que contient la lettre ?

LE DUC.

Mais, mon cher, vous exercez une puissance terrible et miraculeuse.

SAINT-CHARLES.

Vous nous remettez un pouvoir absolu, nous en usons avec adresse.

LE DUC.

Et si vous en abusez ?

SAINT-CHARLES.

Impossible : on nous briserait.

LE DUC.

Comment des hommes doués de facultés si précieuses les exercent-ils dans une pareille sphère ?

SAINT-CHARLES.

Tout s’oppose à ce que nous en sortions : nous protégeons nos protecteurs, on nous avoue trop de secrets honorables, et l’on nous en cache trop de honteux pour qu’on nous aime ; nous rendons de tels services, qu’on ne peut s’acquitter qu’en nous méprisant. On veut d’abord que pour nous les choses ne soient que des mots : ainsi la délicatesse est une niaiserie, l’honneur une convention, la traîtrise diplomatie ! Nous sommes des gens de confiance ; et cependant l’on nous donne beaucoup à deviner. Penser et agir, déchiffrer le passé dans le présent, ordonner l’avenir dans les plus petites choses, comme je viens de le faire, voilà notre programme, il épouvanterait un homme de talent. Le but une fois atteint, les mots redeviennent des choses, monsieur le duc, et l’on commence à soupçonner que nous pourrions bien être infâmes.

LE DUC.

Tout ceci, mon cher, peut ne pas manquer de justesse ; mais vous n’espérez pas, je crois, faire changer l’opinion du monde, ni la mienne ?