Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/321

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ou allié d’un des quatre ou cinq misérables qui ont trahi… car mon culte à moi, c’est…

GODARD.

L’empereur… on le sait…

LE GÉNÉRAL.

Dieu, d’abord, puis la France ou l’empereur… c’est tout un pour moi… enfin, ma femme et mes enfants ! Qui touche à mes dieux ! devient mon ennemi ; je le tue comme un lièvre, sans remords. Voilà mes idées sur la religion, le pays et la famille. Le catéchisme est court ; mais il est bon. Savez-vous pourquoi en 1816, après leur maudit licenciement de l’armée de la Loire, j’ai pris ma pauvre petite orpheline dans mes bras, et je suis venu, moi, colonel de la jeune garde, blessé à Waterloo, ici, près de Louviers, me faire fabricant de draps ?

GODARD.

Pour ne pas servir ceux-ci.

LE GÉNÉRAL.

Pour ne pas mourir, comme un assassin sur l’échafaud.

GODARD.

Ah ! bon Dieu !

LE GÉNÉRAL.

Si j’avais rencontré un de ces traîtres, je lui aurais fait son affaire. Encore aujourd’hui, après bientôt quinze ans, tout mon sang bout dans mes veines si, par hasard, je lis leur nom dans un journal ou si quelqu’un les prononce devant moi. Enfin si je me trouvais avec l’un d’eux, rien ne m’empêcherait de lui sauter à la gorge, de le déchirer, de l’étouffer…

GODARD.

Vous auriez raison. (À part.) Faut dire comme lui.

LE GÉNÉRAL.

Oui, Monsieur, je l’étoufferais !… Et si mon gendre tourmentait ma chère enfant, ce serait de même.

GODARD.

Ah !

LE GÉNÉRAL.

Oh ! je ne veux pas qu’il se laisse mener par elle. Un homme doit être le roi dans son ménage, comme moi ici.

GODARD, à part.

Pauvre homme ! comme il s’abuse !