Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/336

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RAMEL.

Oh ! oh ! ceci devient très-grave ! alors ne me cache plus rien.

FERDINAND.

Mademoiselle Gertrude de Meilhac, élevée à Saint-Denis, m’a sans doute aimé d’abord par ambition ; très-aise de me savoir riche, elle a tout fait pour m’attacher de manière à devenir ma femme.

RAMEL.

C’est le jeu de toutes les orphelines intrigantes.

FERDINAND.

Mais comment Gertrude a fini par m’aimer ?… c’est ce qui ne se peut exprimer que par les effets mêmes de cette passion, que dis-je passion ? c’est chez elle ce premier, ce seul et unique amour qui domine toute la vie et qui la dévore. Quand elle m’a vu ruiné vers la fin de 1816, elle qui me savait, comme toi, poëte, aimant le luxe et les arts, la vie molle et heureuse, enfant gâté, pour tout dire, a conçu, sans me le communiquer d’ailleurs, un de ces plans infâmes et sublimes, comme tout ce que d’ardentes passions contrariées inspirent aux femmes, qui, dans l’intérêt de leur amour, font tout ce que font les despotes dans l’intérêt de leur pouvoir ; pour elles, la loi suprême, c’est leur amour…

RAMEL.

Les faits, mon cher ?… Tu plaides, et je suis procureur du roi.

FERDINAND.

Pendant que j’établissais ma mère en Bretagne, Gertrude a rencontré le général Grandchamp, qui cherchait une institutrice pour sa fille. Elle n’a vu dans ce vieux soldat blessé grièvement, alors âgé de cinquante-huit ans, qu’un coffre-fort. Elle s’est imaginé être promptement veuve, riche en peu de temps, et pouvoir reprendre et son amour et son esclave. Elle s’est dit que ce mariage serait comme un mauvais rêve, promptement suivi d’un beau réveil. Et voilà douze ans que dure le rêve ! Mais tu sais comme raisonnent les femmes.

RAMEL.

Elles ont une jurisprudence à elles.

FERDINAND.

Gertrude est d’une jalousie féroce. Elle veut être payée par la fidélité de l’amant de l’infidélité qu’elle fait au mari, et comme elle souffrait, disait-elle, le martyre, elle a voulu…