Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/48

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LAFOURAILLE.

Une fois ? Je l’ai vendu trois fois, mon maître.

VAUTRIN.

C’est mieux. Et quel commerce faisait donc l’intendant ?

LAFOURAILLE.

Vous allez voir. J’étais piqueur à dix-huit ans dans la maison de Langeac…

VAUTRIN.

Je croyais que c’était chez le duc de Montsorel.

LAFOURAILLE.

Non ; heureusement le duc ne m’a vu que deux fois, et j’espère qu’il m’a oublié.

VAUTRIN.

L’as-tu volé ?

LAFOURAILLE.

Mais, un peu.

VAUTRIN.

Eh bien ! comment veux-tu qu’il t’oublie ?

LAFOURAILLE.

Je l’ai vu hier à l’ambassade, et je puis être tranquille.

VAUTRIN.

Ah ! c’est donc le même ?

LAFOURAILLE.

Nous avons chacun vingt-cinq ans de plus, voilà toute la différence.

VAUTRIN.

Eh bien ! parle donc ? Je savais bien que tu m’avais dit ce nom-là. Voyons.

LAFOURAILLE.

Le vicomte de Langeac, un de mes maîtres, et ce duc de Montsorel étaient les deux doigts de la main. Quand il fallut opter entre la cause du peuple et celle des grands, mon choix ne fut pas douteux : de simple piqueur, je passai citoyen, et le citoyen Philippe Boulard fut un chaud travailleur. J’avais de l’enthousiasme, j’eus de l’autorité dans le faubourg.

VAUTRIN.

Toi ! tu as été un homme politique ?

LAFOURAILLE.

Pas longtemps. J’ai fait une belle action, ça m’a perdu.

VAUTRIN.

Ah ! mon garçon, il faut se défier des belles actions autant