Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 19.djvu/67

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encore ce que c’était que la vengeance, et je ne voudrais pas mourir sans m’être vengé de ces deux Montsorel !

VAUTRIN.

Il souffre. Raoul, qu’as-tu, mon enfant ?

RAOUL.

Eh ! je n’ai rien, laissez-moi.

VAUTRIN.

Tu me rebutes encore ? tu abuses du droit que tu as de maltraiter ton ami… À quoi pensais-tu là ?

RAOUL.

À rien.

VAUTRIN.

À rien ! Ah çà, Monsieur, croyez-vous que celui qui vous a enseigné ce flegme anglais, sous lequel un homme de quelque valeur doit couvrir ses émotions, ne connaisse pas le défaut de cette cuirasse d’orgueil ? Dissimulez avec les autres ; mais avec moi, c’est plus qu’une faute ; en amitié, les fautes sont des crimes.

RAOUL.

Ne plus jouer, ne plus rentrer ivre, quitter la ménagerie de l’Opéra, devenir un homme sérieux, étudier, vouloir une position… tu appelles cela dissimuler.

VAUTRIN.

Tu n’es encore qu’un pauvre diplomate, tu seras grand quand tu m’auras trompé. Raoul, tu as commis la faute contre laquelle je t’avais mis le plus en garde. Mon enfant, qui devait prendre les femmes pour ce qu’elles sont, des êtres sans conséquence, enfin s’en servir et non les servir, est devenu un berger de M. de Florian ; mon Lovelace se heurte contre une Clarisse. Ah ! les jeunes gens doivent frapper longtemps sur ces idoles, avant d’en reconnaître le creux.

RAOUL.

Un sermon ?

VAUTRIN.

Comment ! moi qui t’ai formé la main au pistolet, qui t’ai montré a tirer l’épée, qui t’ai appris à ne pas redouter l’ouvrier le plus fort du faubourg, moi qui ai fait pour ta cervelle comme pour le corps, moi qui t’ai voulu mettre au-dessus de tous les hommes, enfin moi qui t’ai sacré roi, tu me prends pour une ganache ? Allons, un peu plus de franchise.