Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/142

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bourdin dévorèrent en cinq ans près de cent mille bancs sur leur capital. Justement effrayée de ne pas voir avancer son mari Célestine voulut employer en terres les cent mille francs restant de sa dot, placement qui donna peu de revenu ; mais un jour la succession de monsieur Leprince récompenserait de sages privations par les fruits d’une belle aisance. Quand le vieux commissaire-priseur vit son gendre déshérité de ses protections, il tenta par amour pour sa fille de réparer ce secret échec en risquant une partie de sa fortune dans une spéculation pleine de chances favorables ; mais le pauvre homme atteint par une des liquidations de la Maison Nucingen mourut de chagrin ne laissant qu’une dizaine de beaux tableaux qui ornèrent le salon de sa fille et quelques meubles antiques qu’elle mit au grenier. Huit années de vaine attente firent enfin comprendre à madame Rabourdin que le paternel protecteur de son mari devait avoir été surpris par la mort, que le testament avait été supprimé ou perdu. Deux ans avant la mort de Leprince la place de Chef de Division devenue vacante avait été donnée à un monsieur de La Billardière, parent d’un député de la Droite fait ministre en 1823. C’était à quitter le métier. Mais Rabourdin pouvait-il abandonner huit mille francs de traitement avec gratifications quand son ménage s’était accoutumé à les dépenser et qu’ils formaient les trois quarts du revenu ? D’ailleurs au bout de quelques années de patience n’avait-il pas droit à une pension ? Quelle chute pour une femme dont les hautes prétentions au début de la vie étaient presque légitimes et qui passait pour être une femme supérieure !

Madame Rabourdin avait justifié les espérances que donnait mademoiselle Leprince : elle possédait les éléments de l’apparente supériorité qui plaît au monde, sa vaste instruction lui permettait de parler à chacun son langage, ses talents étaient réels, elle montrait un esprit indépendant et élevé, sa conversation captivait autant par sa variété que par l’étrangeté des idées. Ces qualités utiles et bien placées chez une souveraine, chez une ambassadrice servaient à peu de chose dans un ménage où tout devait aller terre-à-terre. Les personnes qui parlent bien veulent un public, aiment à parler longtemps et fatiguent quelquefois. Pour satisfaire aux besoins de son esprit, madame Rabourdin avait pris un jour de réception par semaine, elle allait beaucoup dans le monde afin d’y goûter les jouissances auxquelles son amour-propre l’avait habituée. Ceux qui connaissent la vie de Paris sauront ce que souffrait une femme de