Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/184

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soutiens, d’un de ses zélés serviteurs ; puis l’affaire de l’âge et du cens. Ce fut une avalanche de suppositions noyée dans les raisonnements des deux employés qui se renvoyèrent l’un à l’autre des tartines de bêtises. Élisabeth, elle, fit trois questions.

— Si monsieur des Lupeaulx est pour nous, monsieur Baudoyer sera-t-il sûrement nommé ?

Quien, parbleu ! s’écria le caissier.

— En 1814, mon oncle Bidault et monsieur Gobseck son ami l’ont obligé, pensa-t-elle. A-t-il encore des dettes ?

— Oui, fit le caissier en appuyant par un sifflement piteux et prolongé sur la dernière voyelle. Il y a eu des oppositions sur le traitement, mais elles ont été levées par ordre supérieur, un mandat à vue.

— Où donc est sa terre des Lupeaulx ?

Quien, parbleu ! dans le pays de ton grand-père et de ton grand-oncle Bidault, de Falleix, pas loin de l’arrondissement du député qui descend la garde…

Quand son colosse de mari fut couché, Élisabeth se pencha sur lui, et quoiqu’il eût taxé ses questions de lubies : — Mon ami, dit-elle, peut-être auras-tu la place de monsieur de La Billardière.

— Te voilà encore avec tes imaginations, dit Baudoyer. Laisse donc monsieur Gaudron parler à la Dauphine, et ne te mêle pas des Bureaux.

À onze heures, au moment où tout était calme à la Place-Royale, monsieur des Lupeaulx quittait l’Opéra pour venir rue Duphot. Ce mercredi fut un des plus brillants de madame Rabourdin. Plusieurs de ses habitués revinrent du théâtre et augmentèrent les groupes formés dans ses salons et où se remarquaient plusieurs célébrités : Canalis le poète, le peintre Schinner, le docteur Bianchon, Lucien de Rubempré, Octave de Camps, le comte de Granville, le vicomte de Fontaine, du Bruel le vaudevilliste, Andoche Finot le journaliste, Derville, une des plus fortes têtes du palais, le baron du Châtelet, député, du Tillet le banquier, des jeunes gens élégants comme Paul de Manerville et le jeune comte d’Esgrignon. Célestine servait le thé quand le Secrétaire-général entra, sa toilette lui allait bien ce soir-là : elle avait une robe de velours noir sans ornement, une écharpe de gaze noire, les cheveux bien lissés, relevés par une natte ronde, et de chaque côté les boucles tombant à l’anglaise. Ce qui distinguait cette femme, était le laissez-aller italien de l’artiste,