Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/185

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une facile compréhension de toute chose, et la grâce avec laquelle elle souhaitait la bienvenue au moindre désir de ses amis. La nature lui avait donné une taille svelte pour se retourner lestement au premier mot d’interrogation, des yeux noirs fendus à l’orientale et inclinés comme ceux des Chinoises pour voir de côté ; elle savait ménager sa voix insinuante et douce de manière à répandre un charme caressant sur toute parole, même celle jetée au hasard ; elle avait de ces pieds que l’on ne voit que dans les portraits où les peintres mentent à leur aise en chaussant leur modèle, seule flatterie qui ne compromette pas l’Anatomie. Son teint, un peu jaune au jour comme est celui des brunes, jetait un vif éclat aux lumières qui faisaient briller ses cheveux et ses yeux noirs. Enfin ses formes minces et découpées rappelaient à l’artiste celles de la Vénus du Moyen-Age trouvée par Jean Goujon l’illustre statuaire de Diane de Poitiers.

Des Lupeaulx s’arrêta sur la porte en s’appuyant l’épaule au chambranle. Cet espion des idées ne se refusa pas au plaisir d’espionner un sentiment, car cette femme l’intéressait beaucoup plus qu’aucune de celles auxquelles il s’était attaché. Des Lupeaulx arrivait à l’âge où les hommes ont des prétentions excessives auprès des femmes. Les premiers cheveux blancs amènent les dernières passions, les plus violentes parce qu’elles sont à cheval sur une puissance qui finit et sur une faiblesse qui commence. Quarante ans est l’âge des folies, l’âge où l’homme veut être aimé pour lui, car alors son amour ne se soutient plus par lui-même, comme aux premiers jours de la vie où l’on peut être heureux en aimant à tort et à travers, à la façon de Chérubin. À quarante ans, on veut tout, tant on craint de ne rien obtenir, tandis qu’à vingt-cinq ans on a tant de choses qu’on ne sait rien vouloir. À vingt-cinq ans, on marche avec tant de forces qu’on les dissipe impunément ; mais à quarante ans on prend l’abus pour la puissance. Les pensées qui saisirent en ce moment des Lupeaulx furent sans doute mélancoliques. Les nerfs de ce vieux Beau se détendirent, le sourire agréable qui lui servait de physionomie et lui faisait comme un masque en crispant sa figure, se dissipa ; l’homme vrai parut, il fut horrible ; Rabourdin l’aperçut, et se dit : — Que lui est-il arrivé ? Est-il en disgrâce ? Le Secrétaire-général se souvenait seulement d’avoir été trop promptement quitté naguère par la jolie madame Colleville dont les intentions furent exactement celles de Célestine. Rabourdin surprit ce faux