Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/279

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— La Billardière avait au moins les manières du gentilhomme ordinaire de la chambre, reprit des Lupeaulx. Madame, dit-il, en s’adressant à la comtesse, il y a maintenant nécessité d’inviter madame Rabourdin à votre première soirée intime, je vous ferai observer qu’elle a pour amie madame de Camps ; elles étaient ensemble hier aux Italiens, et je l’ai connue à l’hôtel Firmiani ; d’ailleurs vous verrez si elle est de nature à compromettre un salon.

— Invitez madame Rabourdin, ma chère, dit le ministre, et parlons d’autre chose.

— Célestine est donc dans mes griffes, dit des Lupeaulx en remontant chez lui pour faire une toilette du matin.

Les ménages parisiens sont dévorés par le besoin de se mettre en harmonie avec le luxe qui les environne de toutes parts, aussi en est-il peu qui aient la sagesse de conformer leur situation extérieure à leur budget intérieur. Mais ce vice tient peut-être à un patriotisme tout français et qui a pour but de conserver à la France sa suprématie en fait de costume. La France règne par le vêtement sur toute l’Europe, chacun y sent la nécessité de garder un sceptre commercial qui fait de la Mode en France ce qu’est la Marine en Angleterre. Cette patriotique fureur qui porte à tout sacrifier au paroistre, comme disait d’Aubigné sous Henri IV, est la cause de travaux secrets et immenses qui prennent toute la matinée des femmes parisiennes, quand elles veulent, ainsi que le voulait madame Rabourdin, tenir avec douze mille livres de rente le train que beaucoup de riches ne se donnent pas avec trente mille. Ainsi, les vendredis, jours de dîner, madame Rabourdin aidait la femme de chambre à faire les appartements ; car la cuisinière allait de bonne heure à la Halle, et le domestique nettoyait l’argenterie, façonnait les serviettes, brossait les cristaux. Le mal-avisé qui, par une distraction de la portière, serait monté vers onze heures ou midi chez madame Rabourdin, l’eût trouvée, au milieu du désordre le moins pittoresque, en robe de chambre, les pieds dans de vieilles pantoufles, mal coiffée, arrangeant elle-même ses lampes, disposant elle-même ses jardinières ou se cuisinant à la hâte un déjeuner peu poétique. Le visiteur à qui les mystères de la vie parisienne auraient été inconnus eût certes appris à ne pas mettre le pied dans les coulisses du théâtre ; bientôt signalé comme un homme capable des plus grandes noirceurs, la femme surprise dans ses mystères du matin aurait parlé de sa bêtise et de son indiscrétion de manière