Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/353

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— Mais je ne te laisse pas que tu ne t’acquittes envers moi d’une dette sacrée, ce petit souper, hein ? dit Blondet qui donnait un peu trop dans la bonne chère et qui se faisait traiter quand il se trouvait sans argent.

— Quel souper ? reprit Lucien en laissant échapper un geste d’impatience.

— Tu ne t’en souviens pas ? Voilà où je reconnais la prospérité d’un ami : il n’a plus de mémoire.

— Il sait ce qu’il nous doit, je suis garant de son cœur, reprit Finot en saisissant la plaisanterie de Blondet.

— Rastignac, dit Blondet en prenant le jeune élégant par le bras au moment où il arrivait en haut du foyer, et auprès de la colonne où se tenaient les soi-disant amis, il s’agit d’un souper : vous serez des nôtres… À moins que monsieur, reprit-il sérieusement en montrant Lucien, ne persiste à nier une dette d’honneur ; il le peut.

— Monsieur de Rubempré, je le garantis, en est incapable, dit Rastignac qui pensait à tout autre chose qu’à une mystification.

— Voilà Bixiou, s’écria Blondet, il en sera : rien de complet sans lui. Sans lui, le vin de Champagne m’empâte la langue, et je trouve tout fade, même le piment des épigrammes.

— Mes amis, dit Bixiou, je vois que vous êtes réunis autour de la merveille du jour. Notre cher Lucien recommence les Métamorphoses d’Ovide. De même que les dieux se changeaient en de singuliers légumes et autres, pour séduire des femmes, il a changé le Chardon en gentilhomme pour séduire, quoi ? Charles X ! Mon petit Lucien, dit-il en le prenant par un bouton de son habit, un journaliste qui passe grand seigneur mérite un joli charivari. À leur place, dit l’impitoyable railleur en montrant Finot et Vernou, je t’entamerais dans leur petit journal ; tu leur rapporterais une centaine de francs, dix colonnes de bons mots.

— Bixiou, dit Blondet, un Amphitryon nous est sacré vingt-quatre heures auparavant et douze heures après la fête : notre illustre ami nous donne à souper.

— Comment ! comment ! reprit Bixiou ; mais quoi de plus nécessaire que de sauver un grand nom de l’oubli, que de doter l’indigente aristocratie d’un homme de talent ? Lucien, tu as l’estime de la Presse, de laquelle tu étais le plus bel ornement, et nous te soutiendrons. Finot, un entrefilet aux premiers-Paris ! Blondet,