Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/398

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que robe de chambre ouverte, d’une chemise en toile de Frise et d’un pantalon rouge, un bonnet turc sur sa tête d’où ses cheveux blonds sortaient en grosses boucles, offrait une image divine. Le génie italien peut inventer de raconter Othello, le génie anglais peut le mettre en scène ; mais la nature seule a le droit d’être dans un seul regard plus magnifique et plus complète que l’Angleterre et l’Italie dans l’expression de la jalousie. Ce regard, surpris par Esther, lui fit saisir l’Espagnol par le bras et y imprimer ses ongles comme eût fait un chat qui se retient pour ne pas tomber dans un précipice où il ne voit pas de fond. L’Espagnol dit alors trois ou quatre mots d’une langue inconnue à ce monstre asiatique, qui vint s’agenouiller en rampant aux pieds d’Esther, et les lui baisa.

— C’est, dit l’Espagnol à Esther, non pas une cuisinière, mais un cuisinier qui rendrait Carême fou. Asie sait tout faire en cuisine. Elle vous accommodera un simple plat de haricots à vous mettre en doute si les anges ne sont pas descendus pour y ajouter des herbes du ciel. Elle ira tous les matins à la Halle elle-même, et se battra comme un démon qu’elle est, afin d’avoir les choses au plus juste prix ; elle lassera les curieux par sa discrétion. Comme vous passerez pour être allée aux Indes, Asie vous aidera beaucoup à rendre cette fable possible ; mais mon avis n’est pas que vous soyez étrangère… — Europe, qu’en dis-tu ?…

Europe formait un contraste parfait avec Asie, car elle était la soubrette la plus gentille que jamais Monrose ait pu souhaiter pour adversaire sur le théâtre. Svelte, en apparence étourdie, au minois de belette, le nez en vrille, Europe offrait à l’observation une figure fatiguée par les corruptions parisiennes, la blafarde figure d’une fille nourrie de pommes crues, lymphatique et fibreuse, molle et tenace. Son petit pied en avant, les mains dans les poches de son tablier, elle frétillait tout en restant immobile, tant elle avait d’animation. À la fois grisette et figurante, elle devait, malgré sa jeunesse, avoir déjà fait bien des métiers. Perverse comme toutes les Madelonnettes ensemble, elle pouvait avoir volé ses parents et frôlé les bancs de la Police correctionnelle. Asie inspirait une grande épouvante ; mais on la connaissait tout entière en un moment, elle descendait en ligne droite de Locuste ; tandis qu’Europe inspirait une inquiétude qui ne pouvait que grandir à mesure qu’on se servait d’elle ; sa corruption semblait ne pas avoir de bornes ; elle devait, comme dit le peuple, savoir faire battre des montagnes.