Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/423

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d’âme et de cœur. Quoique Sabine de Grandlieu n’eût que dix ans, elle leva sur sa mère un œil intelligent dont le regard presque moqueur fut réprimé par un coup d’œil de sa mère. C’est ce qui s’appelle bien élever ses enfants.

— Si ma fille résiste à ce coup-là, dit madame de Chaulieu de l’air le plus maternel, son avenir m’inquiétera. Louise est très-romanesque.

— Je ne sais pas, dit la vieille duchesse d’Uxelles, de qui nos filles ont pris ce caractère-là ?…

— Il est difficile, dit un vieux cardinal, de concilier aujourd’hui le cœur et les convenances.

Lucien, qui n’avait pas un mot à dire, alla vers la table à thé, faire ses compliments à mesdemoiselles de Grandlieu. Quand le poète fut à quelques pas du groupe de femmes, la marquise d’Espard se pencha pour pouvoir parler à l’oreille de la duchesse de Grandlieu.

— Vous croyez donc que ce garçon-là aime beaucoup votre chère Clotilde ? lui dit-elle.

La perfidie de cette interrogation ne peut être comprise qu’après l’esquisse de Clotilde. Cette jeune personne, de vingt-sept ans était alors debout. Cette attitude permettait au regard moqueur de la marquise d’Espard d’embrasser la taille sèche et mince de Clotilde qui ressemblait parfaitement à une asperge. Le corsage de la pauvre fille était si plat qu’il n’admettait pas les ressources coloniales de ce que les modistes appellent des fichus menteurs. Aussi Clotilde, qui se savait de suffisants avantages dans son nom, loin de prendre la peine de déguiser ce défaut, le faisait-elle héroïquement ressortir. En se serrant dans ses robes, elle obtenait l’effet du dessin roide et net que les sculpteurs du Moyen-Âge ont cherché dans leurs statuettes dont le profil tranche sur le fond des niches où ils les ont mises dans les cathédrales. Clotilde avait cinq pieds quatre pouces. S’il est permis de se servir d’une expression familière qui, du moins, a le mérite de bien se faire comprendre, elle était tout jambes. Ce défaut de proportion donnait à son buste quelque chose de difforme. Brune de teint, les cheveux noirs et durs, les sourcils très fournis, les yeux ardents et encadrés dans des orbites déjà charbonnées, la figure arquée comme un premier quartier de lune et dominée par un front proéminent, elle offrait la caricature de sa mère, l’une des plus belles femmes du Portugal.