Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/472

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— C’est très philosophique ce que vous dites là, s’écria Contenson, un professeur en ferait un système !

— Sois au fait, reprit Corentin en souriant et s’en allant avec l’espion par les rues, de tout ce qui se passera chez monsieur de Nucingen, à propos de l’inconnue… en gros… ne finasse pas…

— On regarde si les cheminées fument ! dit Contenson.

— Un homme comme le baron de Nucingen ne peut pas être heureux incognito, reprit Corentin. D’ailleurs nous, pour qui les hommes sont des cartes, nous ne devons jamais être joués par eux !

— Parbleu ! ce serait le condamné qui s’amuserait à couper le cou au bourreau, s’écria Contenson.

— Tu as toujours le petit mot pour rire, répondit Corentin en laissant échapper un sourire qui dessina de faibles plis dans son masque de plâtre.

Cette affaire était excessivement importante en elle-même, et à part ses résultats. Si le baron n’avait pas trahi Peyrade, qui donc avait eu intérêt à voir le Préfet de police ? Il s’agissait pour Corentin de savoir s’il n’existait pas de faux frères parmi ses hommes. Il se disait en se couchant ce que ruminait aussi Peyrade : — Qui donc est allé se plaindre au préfet ?… À qui cette femme appartient-elle ? Ainsi, tout en s’ignorant les uns les autres, Jacques Collin, Peyrade et Corentin se rapprochaient sans le savoir ; et la pauvre Esther, Nucingen, Lucien allaient nécessairement être enveloppés dans la lutte déjà commencée, et que l’amour-propre particulier aux gens de police devait rendre terrible.

Grâce à l’adresse d’Europe, la partie la plus menaçante des soixante mille francs de dettes qui pesaient sur Esther et sur Lucien fut acquittée. La confiance des créanciers ne fut pas même ébranlée. Lucien et l’abbé purent respirer pendant un moment. Comme deux bêtes fauves poursuivies qui lapent un peu d’eau au bord de quelque marais, ils purent continuer à côtoyer les précipices, le long desquels l’homme fort conduisait l’homme faible ou au gibet ou à la fortune.

— Aujourd’hui, dit le faux prêtre à sa créature, nous jouons le tout pour le tout ; mais heureusement les cartes sont biseautées.

Pendant quelque temps Lucien fut assidu, par ordre de son terrible Mentor, auprès de madame de Sérizy. En effet, Lucien ne devait pas être soupçonné d’avoir une fille entretenue pour maî-