Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/90

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un cheval de cabriolet et un petit domestique. Elle n’avait plus que sa femme de chambre, et, pour cuisinière, une de ses anciennes filles de cuisine. Le tigre du duc avait alors un service un peu rude. Toby, l’ancien tigre de feu Beaudenord, car telle fut la plaisanterie du beau monde sur cet élégant ruiné, ce jeune tigre qui, à vingt-cinq ans, était toujours censé n’en avoir que quatorze, devait suffire à panser les chevaux, nettoyer le cabriolet ou le tilbury, suivre son maître, faire les appartements, et se trouver à l’antichambre de la princesse pour annoncer, si par hasard elle avait à recevoir la visite de quelque personnage. Quand on songe à ce que fut, sous la Restauration, la belle duchesse de Maufrigneuse, une des reines de Paris, une reine éclatante, dont la luxueuse existence en aurait remontré peut-être aux plus riches femmes à la mode de Londres, il y avait je ne sais quoi de touchant à la voir dans son humble coquille de la rue Miromesnil, à quelques pas de son immense hôtel qu’aucune fortune ne pouvait habiter, et que le marteau des spéculateurs a démoli pour en faire une rue. La femme à peine servie convenablement par trente domestiques, qui possédait les plus beaux appartements de réception de Paris, les plus jolis petits appartements, qui y donna de si belles fêtes, vivait dans un appartement de cinq pièces : une antichambre, une salle à manger, un salon, une chambre à coucher et un cabinet de toilette, avec deux femmes pour tout domestique.

— Ah ! elle est admirable pour son fils, disait cette fine commère de marquise d’Espard, et admirable sans emphase, elle est heureuse. On n’aurait jamais cru cette femme si légère capable de résolutions suivies avec autant de persistance ; aussi notre bon archevêque l’a-t-il encouragée, se montre-t-il parfait pour elle, et vient-il de décider la vieille comtesse de Cinq-Cygne à lui faire une visite.

Avouons-le d’ailleurs ? Il faut être reine pour savoir abdiquer, et descendre noblement d’une position élevée qui n’est jamais entièrement perdue. Ceux-là seuls qui ont la conscience de n’être rien par eux-mêmes, manifestent des regrets en tombant, ou murmurent et reviennent sur un passé qui ne reviendra jamais, en devinant bien qu’on ne parvient pas deux fois. Forcée de se passer des fleurs rares au milieu desquelles elle avait l’habitude de vivre et qui rehaussaient si bien sa personne, car il était impossible de ne pas la comparer à une fleur, la princesse avait bien choisi son rez-de-chaussée : elle y jouissait d’un joli petit jardin, plein d’arbustes, et