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Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/115

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son enfant : je souffre tout de toi ; moi, si impérieuse, si fière ailleurs, moi qui faisais trotter des ducs, des princes, des aides-de-camp de Charles X, qui valaient plus que toute la cour actuelle, je te traite en enfant gâté. Mais à quoi bon des coquetteries ? ce serait en pure perte. Et cependant, faute de coquetterie, je ne vous inspirerai jamais d’amour, monsieur ! Je le sais, je le sens, et je continue en éprouvant l’action d’un pouvoir irrésistible, mais je pense que cet entier abandon me vaudra de vous ce sentiment qu’il dit être chez tous les hommes pour ce qui est leur propriété. »

Mercredi.

» Oh ! comme la tristesse est entrée noire dans mon cœur lorsque j’ai su qu’il fallait renoncer au bonheur de te voir hier ! Une seule idée m’a empêchée de me laisser aller dans les bras de la mort : tu le voulais ! Ne pas venir, c’était exécuter ta volonté, obéir à l’un de tes ordres. Ah ! Charles, j’étais si jolie ! tu aurais eu en moi mieux que cette belle princesse allemande que tu m’avais donnée en exemple, et que j’avais étudiée à l’Opéra. Mais tu m’aurais peut-être trouvée hors de ma nature. Tiens, tu m’as ôté toute confiance en moi, je suis peut-être laide. Oh ! je me fais horreur, je deviens imbécile en songeant à mon radieux Charles-Édouard. Je deviendrai folle, c’est sûr. Ne ris pas, ne me parle pas de la mobilité des femmes. Si nous sommes mobiles, vous êtes bien bizarres, vous ! Ôter à une pauvre créature les heures d’amour qui la faisaient heureuse depuis dix jours, qui la rendaient bonne et charmante pour tous ceux qui la venaient voir ! Enfin tu étais cause de ma douceur avec lui, tu ne sais pas le mal que tu lui fais. Je me suis demandé ce que je dois inventer pour te conserver, ou pour avoir seulement le droit d’être quelquefois à toi… Quand je pense que tu n’as jamais voulu venir ici ! Avec quelle délicieuse émotion je te servirais ! Il y en a de plus favorisées que moi. Il y a des femmes à qui tu dis : Je vous aime. À moi, tu n’as jamais dit que : Tu es une bonne fille. Sans que tu le saches, il est certains mots de toi qui me rongent le cœur. Il y a des gens d’esprit qui me demandent quelquefois à quoi je pense : je pense à mon abjection, qui est celle de la plus pauvre pécheresse en présence du Sauveur. »

Il y a, vous le voyez, encore trois pages. Il me laissa prendre