Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/116

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cette lettre où vis des traces de larmes qui me semblèrent encore chaudes ! Cette lettre me prouva que la Palferine nous disait vrai. Marcas, assez timide avec les femmes, s’extasiait sur une lettre semblable qu’il venait de lire dans son coin avant d’en allumer son cigare. — « Mais toutes les femmes qui aiment écrivent de ces choses-là ! s’écria la Palferine, l’amour leur donne à toutes de l’esprit et du style, ce qui prouve qu’en France le style vient des idées et non des mots. Voyez comme cela est bien pensé, comme un sentiment est logique. » Et il nous lut une autre lettre qui était bien supérieure aux lettres factices tant étudiées que nous tâchons de faire, nous autres auteurs de romans. Un jour, la pauvre Claudine ayant su la Palferine dans un danger excessif, à cause d’une lettre de change, eut la fatale idée de lui apporter dans une bourse ravissamment brodée une somme assez considérable en or. — « Qui t’a faite si hardie, de te mêler des affaires de ma maison ? lui cria la Palferine en colère. Raccommode mes chaussettes, brode-moi des pantoufles, si ça t’amuse. Mais… Ah ! tu veux faire la duchesse, et tu retournes la fable de Danaë contre l’aristocratie. » En disant ces mots, il vida la bourse dans sa main, et fit le geste de jeter la somme à la figure de Claudine. Claudine épouvantée, et ne devinant pas la plaisanterie, se recula, heurta une chaise, et alla tomber la tête la première sur l’angle aigu de la cheminée. Elle se crut morte. La pauvre femme ne dit qu’un mot, quand, mise sur le lit, elle put parler : — « Je l’ai mérité, Charles ! » La Palferine eut un moment de désespoir. Ce désespoir rendit la vie à Claudine ; elle fut heureuse de ce malheur, elle en profita pour faire accepter la somme à la Palferine, et le tirer d’embarras. Puis ce fut le contre-pied de la fable de La Fontaine où un mari rend grâce aux voleurs de lui faire connaître un mouvement de tendresse chez sa femme. À ce propos, un mot vous expliquera la Palferine tout entier. Claudine revint chez elle, elle arrangea comme elle le put un roman pour justifier sa blessure, et fut dangereusement malade. Il se fit un abcès à la tête. Le médecin, Bianchon, je crois, oui, ce fut lui, voulut un jour faire couper les cheveux de Claudine, qui a des cheveux aussi beaux que ceux de la duchesse de Berry ; mais elle s’y refusa, et dit en confidence à Bianchon qu’elle ne pouvait pas les laisser couper sans la permission du comte de la Palferine. Bianchon vint chez Charles-Édouard, Charles-Édouard l’écoute gravement, et quand Bianchon lui a lon-