Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/141

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de romans, il accoucha de ce calembour galant : — « Vous me prêtez des livres, mais je vous rendrais bien des francs… » Quelques jours plus tard, il prit un petit air entendu pour dire : — « Je sais que vous êtes occupée, mais mon jour viendra : je suis veuf. » Croizeau se montrait toujours avec de beau linge, avec un habit bleu-barbeau, gilet de pou-de-soie, pantalon noir, souliers à double semelle, noués avec des rubans de soie noire et craquant comme ceux d’un abbé. Il tenait toujours à la main son chapeau de soie de quatorze francs. — « Je suis vieux et sans enfants, disait-il à la jeune personne quelques jours après la visite de Cérizet chez Maxime. J’ai mes collatéraux en horreur. C’est tous paysans faits pour labourer la terre ! Figurez-vous que je suis venu de mon village avec six francs, et que j’ai fait ma fortune ici. Je ne suis pas fier… Une jolie femme est mon égale. Ne vaut-il pas mieux être madame Croizeau pendant quelque temps que la servante d’un comte pendant un an… Vous serez quittée, un jour ou l’autre. Et, vous penserez alors à moi… Votre serviteur, belle dame ! » Tout cela mitonnait sourdement. La plus légère galanterie se disait en cachette. Personne au monde ne savait que ce petit vieillard propret aimait Antonia, car la prudente contenance de cet amoureux au salon de lecture n’aurait rien appris à un rival. Croizeau se défia pendant deux mois du directeur des douanes en retraite. Mais, vers le milieu du troisième mois, il eut lieu de reconnaître combien ses soupçons étaient mal fondés. Croizeau s’ingénia de côtoyer Denisart en s’en allant de conserve avec lui, puis, en prenant sa bisque, il lui dit : « Il fait beau, môsieur ?… » À quoi l’ancien fonctionnaire répondit : — « Le temps d’Austerlitz, monsieur : j’y fus… j’y fus même blessé, ma croix me vient de ma conduite dans cette belle journée… » Et, de fil en aiguille, de roue en bataille, de femme en carrosse, une liaison se fit entre ces deux débris de l’Empire. Le petit Croizeau tenait à l’Empire par ses liaisons avec les sœurs de Napoléon ; il était leur carrossier, et il les avait souvent tourmentées pour ses factures. Il se donnait donc pour avoir eu des relations avec la famille impériale. Maxime, instruit par Antonia des propositions que se permettait l’agréable vieillard, tel fut le surnom donné par la tante au rentier, voulut le voir. La déclaration de guerre de Cérizet avait eu la propriété de faire étudier à ce grand Gant-Jaune sa position sur son échiquier en en observant les moindres pièces. Or, à propos de cet agréable vieillard, il reçut dans