Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/247

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Violette, monté sur un de ces bidets dont se servent les fermiers aux environs de Paris, montra, sous un chapeau de forme ronde et à grands bords, sa figure couleur de bois et fortement plissée, laquelle paraissait encore plus sombre. Ses yeux gris, malicieux et brillants, dissimulaient la traîtrise de son caractère. Ses jambes sèches, habillées de guêtres en toile blanche montant jusqu’au genou, pendaient sans être appuyées sur des étriers, et semblaient maintenues par le poids de ses gros souliers ferrés. Il portait par-dessus sa veste de drap bleu une limousine à raies blanches et noires. Ses cheveux gris retombaient en boucles derrière sa tête. Ce costume, le cheval gris à petites jambes basses, la façon dont s’y tenait Violette, le ventre en avant, le haut du corps en arrière, la grosse main crevassée et couleur de terre qui soutenait une méchante bride rongée et déchiquetée, tout peignait en lui un paysan avare, ambitieux, qui veut posséder de la terre et qui l’achète à tout prix. Sa bouche aux lèvres bleuâtres, fendue comme si quelque chirurgien l’eût ouverte avec un bistouri, les innombrables rides de son visage et de son front empêchaient le jeu de la physionomie dont les contours seulement parlaient. Ces lignes dures, arrêtées, paraissaient exprimer la menace, malgré l’air humble que se donnent presque tous les gens de la campagne, et sous lequel ils cachent leurs émotions et leurs calculs, comme les Orientaux et les Sauvages enveloppent les leurs sous une imperturbable gravité. De simple paysan faisant des journées, devenu fermier de Grouage par un système de méchanceté croissante, il le continuait encore après avoir conquis une position qui surpassait ses premiers désirs. Il voulait le mal du prochain et le lui souhaitait ardemment. Quand il y pouvait contribuer, il y aidait avec amour. Violette était franchement envieux ; mais, dans toutes ses malices, il restait dans les limites de la légalité, ni plus ni moins qu’une Opposition parlementaire. Il croyait que sa fortune dépendait de la ruine des autres, et tout ce qui se trouvait au-dessus de lui était pour lui un ennemi envers lequel tous les moyens devaient être bons. Ce caractère est très commun chez les paysans. Sa grande affaire du moment était d’obtenir de Malin une prorogation du bail de sa ferme qui n’avait plus que six ans à courir. Jaloux de la fortune du régisseur, il le surveillait de près ; les gens du pays lui faisaient la guerre sur ses liaisons avec les Michu ; mais, dans l’espoir de faire continuer son bail pendant douze autres années, le rusé fermier épiait une occa-