Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quéreurs de biens nationaux, et tu voudrais ramener ceux qui te redemanderont Gondreville ? S’ils ne sont pas imbéciles, les Bourbons devront passer l’éponge sur tout ce que nous avons fait. Avertis Bonaparte.

— Un homme de mon rang ne dénonce pas, dit Malin vivement.

— De ton rang ? s’écria Grévin en souriant.

— On m’offre les Sceaux.

— Je comprends ton éblouissement, et c’est à moi d’y voir clair dans ces ténèbres politiques, d’y flairer la porte de sortie. Or, il est impossible de prévoir les événements qui peuvent ramener les Bourbons, quand un général Bonaparte a quatre-vingts vaisseaux et quatre cent mille hommes. Ce qu’il y a de plus difficile, dans la politique expectante, c’est de savoir quand un pouvoir qui penche tombera ; mais, mon vieux, celui de Bonaparte est dans sa période ascendante. Ne serait-ce pas Fouché qui t’a fait sonder pour connaître le fond de ta pensée et se débarrasser de toi ?

— Non, je suis sûr de l’ambassadeur. D’ailleurs Fouché ne m’enverrait pas deux singes pareils, que je connais trop pour ne pas concevoir des soupçons.

— Ils me font peur, dit Grévin. Si Fouché ne se défie pas de toi, ne veut pas t’éprouver, pourquoi te les a-t-il envoyés ? Fouché ne joue pas un tour pareil sans une raison quelconque…

— Ceci me décide, s’écria Malin, je ne serai jamais tranquille avec ces deux Simeuse ; peut-être Fouché, qui connaît ma position, ne veut-il pas les manquer, et arriver par eux jusqu’aux Condé.

— Hé ! mon vieux, ce n’est pas sous Bonaparte qu’on inquiétera le possesseur de Gondreville.

En levant les yeux, Malin aperçut dans le feuillage d’un gros tilleul touffu le canon d’un fusil.

— Je ne m’étais pas trompé, j’avais entendu le bruit sec d’un fusil qu’on arme, dit-il à Grévin après s’être mis derrière un gros tronc d’arbre où le suivit le notaire inquiet du brusque mouvement de son ami.

— C’est Michu, dit Grévin, je vois sa barbe rousse.

— N’ayons pas l’air d’avoir peur, reprit Malin qui s’en alla lentement en disant à plusieurs reprises : Que veut cet homme aux acquéreurs de cette terre ? Ce n’est certes pas toi qu’il visait. S’il nous a entendus, je dois le recommander au prône ! Nous aurions