Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/353

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Troyes. Arrêtés et conduits chez le maire, où ils furent interrogés, chacun d’eux, ignorant l’importance de cette réponse, dit naïvement avoir reçu, la veille, la permission d’aller pendant toute la journée à Troyes. Sur une interpellation du juge de paix, chacun répondit également que mademoiselle leur avait offert de prendre cette distraction à laquelle ils ne songeaient pas. Ces dépositions parurent si graves au juge de paix, qu’il envoya l’Égyptien à Gondreville prier monsieur Lechesneau de venir procéder lui-même à l’arrestation des gentilshommes de Cinq-Cygne, afin d’opérer simultanément, car il se transportait à la ferme de Michu, pour y surprendre le prétendu chef des malfaiteurs. Ces nouveaux éléments parurent si décisifs, que Lechesneau partit aussitôt pour Cinq-Cygne, en recommandant à Grévin de faire soigneusement garder les empreintes laissées par le pied des chevaux dans le parc. Le directeur du jury savait quel plaisir causerait à Troyes sa procédure contre d’anciens nobles, les ennemis du peuple, devenus les ennemis de l’Empereur. En de pareilles dispositions, un magistrat prend facilement de simples présomptions pour des preuves évidentes. Néanmoins, en allant de Gondreville à Cinq-Cygne dans la propre voiture du sénateur, Lechesneau qui, certes, eût fait un grand magistrat sans la passion à laquelle il dut sa disgrâce, car l’Empereur devint prude, trouva l’audace des jeunes gens et de Michu bien folle et peu en harmonie avec l’esprit de mademoiselle de Cinq-Cygne. Il crut en lui-même à des intentions autres que celle d’arracher au sénateur une rétrocession de Gondreville. En toute chose, même en magistrature, il existe ce qu’il faut appeler la conscience du métier. Les perplexités de Lechesneau résultaient de cette conscience que tout homme met à s’acquitter des devoirs qui lui plaisent, et que les savants portent dans la science, les artistes dans l’art, les juges dans la justice. Aussi peut-être les juges offrent-ils aux accusés plus de garanties que les jurés. Le magistrat ne se fie qu’aux lois de la raison, tandis que le juré se laisse entraîner par les ondes du sentiment. Le directeur du jury se posa plusieurs questions à lui-même, en se proposant d’y chercher des solutions satisfaisantes dans l’arrestation même des délinquants. Quoique la nouvelle de l’enlèvement de Malin agitât déjà la ville de Troyes, elle était encore ignorée dans Arcis à huit heures, car tout le monde soupait quand on y vint chercher la gendarmerie et le juge de paix ; enfin personne ne la savait à Cinq-Cygne, dont la vallée et le châ-