Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/413

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ce mouvement aux haines excitées par son frère au 18 Brumaire, et à la ferme croyance où fut alors le reste des hommes de 1793, d’un échec irréparable en Italie. Les mots : Mort au tyran ! criés à Saint-Cloud retentissaient toujours aux oreilles de Lucien. La bataille de Marengo retint Napoléon sur les champs de la Lombardie jusqu’au 25 juin, il arriva le 2 juillet en France. Or, imaginez les figures des cinq conspirateurs, félicitant aux Tuileries le premier Consul sur sa victoire. Fouché, dans le salon même, dit au tribun, car ce Malin que vous venez de voir a été un peu tribun, d’attendre encore, et que tout n’était pas fini. En effet, Bonaparte ne semblait pas à monsieur de Talleyrand et à Fouché aussi marié qu’ils l’étaient eux-mêmes à la Révolution, et ils l’y bouclèrent pour leur propre sûreté, par l’affaire du duc d’Enghien. L’exécution du prince tient, par des ramifications saisissables, à ce qui s’était tramé dans l’hôtel des Relations Extérieures pendant la campagne de Marengo. Certes, aujourd’hui, pour qui a connu des personnes bien informées, il est clair que Bonaparte fut joué comme un enfant par monsieur de Talleyrand et Fouché, qui voulurent le brouiller irrévocablement avec la maison de Bourbon, dont les ambassadeurs faisaient alors des tentatives auprès du premier Consul.

— Talleyrand faisant son whist chez madame de Luynes, dit alors un des personnages qui écoutaient, à trois heures du matin, tire sa montre, interrompt le jeu et demande tout à coup, sans aucune transition, à ses trois partenaires, si le prince de Condé avait d’autre enfant que monsieur le duc d’Enghien. Une demande si saugrenue, dans la bouche de monsieur de Talleyrand, causa la plus grande surprise. — Pourquoi nous demandez-vous ce que vous savez si bien ? lui dit-on. — C’est pour vous apprendre que la maison de Condé finit en ce moment. Or, monsieur de Talleyrand était à l’hôtel de Luynes depuis le commencement de la soirée, et savait sans doute que Bonaparte était dans l’impossibilité de faire grâce.

— Mais, dit Rastignac à de Marsay, je ne vois point dans tout ceci madame de Cinq-Cygne.

— Ah ! vous étiez si jeune, mon cher, que j’oubliais la conclusion ; vous savez l’affaire de l’enlèvement du comte de Gondreville, qui a été la cause de la mort des deux Simeuse et du frère aîné de d’Hauteserre, qui, par son mariage avec mademoiselle de Cinq-Cygne, devint comte et depuis marquis de Cinq-Cygne.