Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/86

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Madame de Sérisy recevait autant de coups de barre de fer que le magistrat disait de paroles.

— Et la morale de ceci ?… dit-elle.

— Est, reprit monsieur de Grandville en continuant la phrase de la comtesse et en parlant à voix basse, que le forçat sera traduit aux assises, et que si Lucien n’y comparaît pas à ses côtés comme ayant profité sciemment des crimes de cet homme, il y viendra comme témoin gravement compromis…

— Ah ! ça, jamais !… s’écria-t-elle tout haut avec une incroyable fermeté. Quant à moi je n’hésiterais pas entre la mort et la perspective de voir un homme que le monde a regardé comme mon meilleur ami, déclaré judiciairement le camarade d’un forçat… Le roi aime beaucoup mon mari.

— Madame, dit en souriant et à haute voix le procureur général, le roi n’a pas le moindre pouvoir sur le plus petit juge d’instruction de son royaume. Là est la grandeur de nos institutions nouvelles. Moi-même je viens de féliciter monsieur Camusot de son habileté…

— De sa maladresse, reprit vivement la comtesse que les accointances de Lucien avec un bandit inquiétaient bien moins que sa liaison avec Esther.

— Si vous lisiez les interrogatoires que monsieur Camusot a fait subir aux deux prévenus, vous verriez que tout dépend de lui…

Après cette phrase, la seule que le procureur général pouvait se permettre, et après un regard d’une finesse féminine, il se dirigea vers la porte de son cabinet. Puis il ajouta sur le seuil en se retournant : — Pardonnez-moi, madame, j’ai deux mots à dire à Bauvan…

Ceci, dans le langage du monde, signifiait pour la comtesse : Je ne peux pas être témoin de ce qui va se passer entre vous et Camusot.

— Qu’est-ce que c’est que ces interrogatoires ? dit alors Léontine avec douceur à Camusot resté tout penaud devant la femme d’un des plus grands personnages de l’État.

— Madame, répondit Camusot, un greffier met par écrit les demandes du juge et les réponses des prévenus, le procès-verbal est signé par le greffier, par le juge et par les prévenus. Ces procès-verbaux sont les éléments de la procédure, ils déterminent l’accusation et le renvoi des accusés devant la cour d’assises.