Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/87

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— Eh ! bien, reprit-elle, si l’on supprimait ces interrogatoires ?…

— Ah ! madame, ce serait un crime pour le magistrat…

— C’est un crime bien plus grand de les avoir écrits ; mais, en ce moment, c’est la seule preuve contre Lucien. Voyons, lisez-moi son interrogatoire afin de savoir s’il nous reste quelque moyen de nous sauver tous ; il ne s’agit pas seulement de moi, qui me donnerais froidement la mort, il s’agit aussi du bonheur de monsieur de Sérisy.

— Madame, dit Camusot, ne croyez pas que j’ai oublié les égards que je vous devais, et si monsieur Popinot, par exemple, avait été commis à cette instruction, vous eussiez été plus malheureuse que vous ne l’êtes avec moi. Tenez, madame, on a tout saisi chez monsieur Lucien, même vos lettres…

— Oh ! mes lettres !

— Les voici, cachetées, dit le magistrat.

La comtesse, dans son trouble, sonna comme si elle eût été chez elle, et le garçon de bureau du procureur général entra.

— De la lumière, dit-elle.

Le garçon alluma une bougie et la mit sur la cheminée, pendant que la comtesse reconnaissait ses lettres, les comptait, les chiffonnait et les jetait dans le foyer. Bientôt la comtesse mit le feu en se servant de la dernière lettre tortillée comme d’une torche. Camusot regardait flamber les papiers assez niaisement en tenant à la main ses deux procès-verbaux. La comtesse, qui paraissait uniquement occupée d’anéantir les preuves de sa tendresse, observait le juge du coin de l’œil. Elle prit son temps, elle calcula ses mouvements, et, avec une agilité de chatte, elle saisit les deux interrogatoires et les lança dans le feu ; mais Camusot les y reprit, la comtesse s’élança sur le juge et ressaisit les papiers enflammés. Il s’ensuivit une lutte pendant laquelle Camusot criait : — Madame ! madame ! vous attentez à… Madame…

Un homme s’élança dans le cabinet, et la comtesse ne put retenir un cri en reconnaissant le comte de Sérisy, suivi de messieurs de Grandville et de Bauvan. Néanmoins Léontine, qui voulait sauver à tout prix Lucien, ne lâchait point les terribles papiers timbrés qu’elle tenait avec une force de tenailles, quoique la flamme eût déjà produit sur sa peau délicate l’effet des moxas. Enfin Camusot, dont les doigts étaient également atteints par le feu, parut avoir honte de cette situation, il abandonna les papiers ; il n’en restait plus que la