Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/106

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Mettons à part cette classe de femmes dans laquelle vous me faites la galanterie de me ranger, car elles sont tenues toutes d’être belles, vous devez comprendre qu’une jeune femme noble, belle, spirituelle (vous m’accordez ces avantages), ne se vend pas, et ne peut s’obtenir que d’une seule façon, quand elle est aimée. Vous m’entendez ! Si elle aime, et qu’elle veuille faire une folie, elle doit être justifiée par quelque grandeur. Pardonnez-moi ce luxe de logique, si rare chez les personnes de notre sexe ; mais, pour votre honneur et… le mien, dit-elle en s’inclinant, je ne voudrais pas que nous nous trompassions sur notre mérite, ou que vous crussiez mademoiselle de Verneuil, ange ou démon, fille ou femme, capable de se laisser prendre à de banales galanteries.

— Mademoiselle, dit le marquis dont la surprise quoique dissimulée fut extrême et qui redevint tout à coup homme de grande compagnie, je vous supplie de croire que je vous accepte comme une très noble personne, pleine de cœur et de sentiments élevés, ou… comme une bonne fille, à votre choix !

— Je ne vous demande pas tant, monsieur, dit-elle en riant. Laissez-moi mon incognito. D’ailleurs, mon masque est mieux mis que le vôtre, et il me plaît à moi de le garder, ne fût-ce que pour savoir si les gens qui me parlent d’amour sont sincères… Ne vous hasardez donc pas légèrement près de moi. — Monsieur, écoutez, lui dit-elle en lui saisissant le bras avec force, si vous pouviez me prouver un véritable amour, aucune puissance humaine ne nous séparerait. Oui, je voudrais m’associer à quelque grande existence d’homme, épouser une vaste ambition, de belles pensées. Les nobles cœurs ne sont pas infidèles, car la constance est une force qui leur va ; je serais donc toujours aimée, toujours heureuse ; mais aussi, ne serais-je pas toujours prête à faire de mon corps une marche pour élever l’homme qui aurait mes affections, à me sacrifier pour lui, à tout supporter de lui, à l’aimer toujours, même quand il ne m’aimerait plus. Je n’ai jamais osé confier à un autre cœur ni les souhaits du mien, ni les élans passionnés de l’exaltation qui me dévore ; mais je puis bien vous en dire quelque chose, puisque nous allons nous quitter aussitôt que vous serez en sûreté.

— Nous quitter ?… jamais ! dit-il électrisé par les sons que rendait cette âme vigoureuse qui semblait se débattre contre quelque immense pensée.