Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/105

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Parfaitement vrai, répéta l’inconnu qui paraissait mettre peu de probité dans ses relations avec les femmes.

Mademoiselle de Verneuil soupira fortement comme une personne qui revient à la vie.

— Ah ! s’écria-t-elle, je suis bien heureuse.

— Vous haïssez donc bien mon pauvre Montauran.

— Non, dit-elle, vous ne sauriez me comprendre. Je n’aurais pas voulu que vous fussiez menacé des dangers contre lesquels je vais tâcher de le défendre, puisqu’il est votre ami.

— Qui vous a dit que Montauran fût en danger ?

— Hé ! monsieur, si je ne venais pas de Paris, où il n’est question que de son entreprise, le commandant d’Alençon nous en a dit assez sur lui, je pense.

— Je vous demanderai alors comment vous pourriez le préserver de tout danger.

— Et si je ne voulais pas répondre ? dit-elle avec cet air dédaigneux sous lequel les femmes savent si bien cacher leurs émotions. De quel droit voulez-vous connaître mes secrets ?

— Du droit que doit avoir un homme qui vous aime.

— Déjà ?… dit-elle. Non, vous ne m’aimez pas, monsieur, vous voyez en moi l’objet d’une galanterie passagère, voilà tout. Ne vous ai-je pas sur-le-champ deviné ? Une personne qui a quelque habitude de la bonne compagnie peut-elle, par les mœurs qui courent, se tromper en entendant un élève de l’École polytechnique se servir d’expressions choisies, et déguiser, aussi mal que vous l’avez fait, les manières d’un grand seigneur sous l’écorce des républicains mais vos cheveux ont un reste de poudre, et vous avez un parfum de gentilhomme que doit sentir tout d’abord une femme du monde. Aussi, tremblant pour vous que mon surveillant, qui a toute la finesse d’une femme, ne vous reconnût, l’ai-je promptement congédié. Monsieur, un véritable officier républicain sorti de l’École ne se croirait pas près de moi en bonne fortune, et ne me prendrait pas pour une jolie intrigante. Permettez-moi, monsieur de Bauvan, de vous soumettre à ce propos un léger raisonnement de femme. Êtes-vous si jeune, que vous ne sachiez pas que, de toutes les créatures de notre sexe, la plus difficile à soumettre est celle dont la valeur est chiffrée et qui s’ennuie du plaisir. Cette sorte de femme exige, m’a-t-on dit, d’immenses séductions, ne cède qu’à ses caprices ; et, prétendre lui plaire, est chez un homme la plus grande des fatuités.